Chapitre 13

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Jeudi 2 avril. Il ne restait plus que deux semaines avant la Grande Dictée et Ryan n'avait toujours aucune nouvelle de Tristan. Il n'avait pas non plus retrouvé d'autres indices. Lassé de tourner en rond dans son appartement sans rien faire, il se laissa tomber dans son canapé et alluma sa télévision, qu'il regarda d'un œil absent. Un homme renversé par une voiture à la gare de Dijon, une tentative d'attentat près de l'école élémentaire Montchapet, des histoires de drogues, de luttes, de vols...Toujours la même chose. Toujours des événements tragiques ou violents. Parfois, Ryan se demandait comment les journalistes parvenaient à en parler de manière neutre, sans se sentir touchés par les faits. Lui n'aurait jamais pu. Sa trop grande sensibilité l'en empêchait.

Alors qu'il allait se lever pour se faire à manger, un événement le cloua soudain à son canapé. Les informations annonçaient un acte de vandalisme au cimetière intercommunal de Dijon. Ryan retint son souffle. Les images montraient des pots de fleurs renversés, des stèles cassées, des fleurs éparpillées. Sous le choc, Ryan éteignit son poste et demeura figé, bouche-bée, les yeux écarquillés. Sa bouche était sèche et ses mains tremblaient. La vue du cimetière ravagé l'avait ébranlé à un point qu'il n'aurait pas cru possible. Comment pouvait-on commettre des actes d'une telle cruauté ? La gorge nouée, il se leva brusquement et quitta son appartement en courant.

Lorsqu'il arriva, personne n'était encore sur place. Le cœur battant, il franchit le grand portail en fer noir...et se figea.

Les images télévisées n'avaient pas menti. Le cimetière était saccagé. Des débris de pots trônaient dans les allées, des fleurs avaient été jetées au sol, avant d'être piétinées, et des plaques gisaient en morceaux. L'estomac noué, horrifié par ce qu'il voyait, Ryan continua sa progression et s'arrêta près du jardin du souvenir. Les galets qui le constituaient avaient été épargnés. Son cœur se serra. Il craignait de connaître l'identité du profanateur...Un brusque haut-le-cœur le prit à cette pensée, il dut quitter précipitamment le cimetière pour aller vomir dans un fossé. Il ferma les yeux et demeura un moment plié en deux, les mains sur ses genoux, haletant. Puis, il se redressa avec lenteur et tenta de reprendre son souffle. Ses mains continuaient de trembler. Il était presque certain que Tristan était à l'origine de la profanation. Sinon, pourquoi l'endroit où reposait Alexis aurait-il été épargné ?

Lorsque sa nausée fut passée, ses poings se serrèrent sous l'effet de la colère qui l'envahissait. Tristan n'avait pas commis les actes décrits dans ses rédactions. Mais ce qu'il avait fait était tout aussi grave. « Il n'est pas au courant. » Ryan secoua la tête de dégoût. Tout était leur faute. Il savait combien avouer certains drames étaient difficiles, mais il ne pouvait s'empêcher d'en vouloir aux Dumont de ne pas avoir dit la vérité à Tristan. Quand il avait connu l'adolescent, il n'avait pas soupçonné tout de suite les conséquences du secret de cette famille. Lorsqu'il s'en était rendu compte, il était trop tard : il s'était déjà engagé auprès de Tristan.

Il soupira. Le garçon mystérieux qui logeait chez Alexis, et maintenant la profanation du cimetière...Cela commençait à faire beaucoup. Il desserra les poings, secoua la tête pour tenter de chasser ses mauvaises pensées. En vain. Il marcha dans les rues, sans vraiment savoir où aller. Il avançait, la tête baissée pour ne pas voir les gens qu'il croisait. Pour ne pas voir leur bonheur, leurs mains entrelacées, leurs baisers passionnés, leurs échanges amicaux. Le cimetière ravagé continuait de le hanter, se mêlant au souvenir du jeune homme qu'il avait suivi jusqu'à l'immeuble d'Alexis. Oublier. Il devait oublier.

Lorsqu'il osa enfin redresser la tête, il s'aperçut que ses pas l'avaient conduit à L'Annexe. Le bar était encore ouvert. Ryan ne put s'empêcher de sourire : c'était exactement ce dont il avait besoin. Il entra et alla s'installer à la table où il avait pris l'habitude de s'assoir avec ses amis. La lumière jaune créait une ambiance chaleureuse, les tableaux accrochés aux murs – même s'il s'agissait de verres à bière – faisaient presque penser à un musée et la musique classique tranchait avec les sons violents des autres bars. Ryan commanda une bière et savoura les bulles sur sa langue, la fraîcheur dans sa gorge, la chaleur qui se répandait ensuite dans son estomac. Il ne voulait plus penser à Tristan. Ni au garçon mystérieux. Encore moins à Alexis. Oublier les dégâts du cimetière. Se concentrer sur le présent. Sur les notes de clavecin qui dansaient joyeusement dans le bar. Sur le goût de la bière. Sur le brouhaha des conversations autour de lui. Il buvait sans plus se préoccuper des conséquences. Sans plus penser ni au passé ni au lendemain. Il vida son verre, en commanda un deuxième, puis un troisième, puis un quatrième. La lumière clignotait au-dessus de lui, la pièce se mit à tourner, il éclata de rire. Tout lui semblait beau, léger, il avait le sentiment de flotter, il se sentait bien.

Mais soudain, une pression sur son bras, on le soulevait, on cherchait à l'arracher au sentiment de bien-être qu'il éprouvait. Il voulut se débattre. En vain. Son corps ne lui répondait plus. Tout devenait flou autour de lui, il fut contraint de se laisser faire. Il rit à nouveau. Puis, sa vision se brouilla et ce fut le noir.

Il fut réveillé par une gifle glacée. Il sursauta et cligna des yeux, surpris. Son visage et ses cheveux ruisselaient. Face à lui se tenait Emma. Elle avait un verre vide à la main – d'où la gifle froide. L'autre main posée sur sa hanche, elle le fixait en fronçant les sourcils.

-Ça va mieux ?

Soudain honteux, Ryan hocha la tête.

-Puis-je savoir ce qui t'a pris, Ryan ? Tu ne bois jamais à ce point.

-Je voulais oublier.

-Oublier quoi ? La mort d'Alexis ? La fugue de Tristan ? Ou la profanation du cimetière ?

Il déglutit face à la fermeté de son ton.

-Les trois.

-Crois-tu vraiment que c'est en buvant que tu pourras les oublier ? Penses-tu d'ailleurs que Tristan a envie d'être oublié ? Réveille-toi, Ryan ! Il t'a laissé des indices parce qu'il veut que ce soit toi qui le retrouves ! Tu nous as tous impliqués dans cette histoire, je t'interdis d'abandonner !

Ses paroles firent mouche. Ryan frémit, mais hocha la tête. Elle avait raison. Tristan avait besoin de lui. Comment avait-il pu l'oublier ?

Il passa une nuit horrible, lors de laquelle son mal de tête refusa de passer. A nouveau pris de nausées, il dut vider son estomac près de trois fois. Sa migraine ne passa que le samedi matin. Epuisé par sa nuit blanche – son mal de tête, associé à son cauchemar, ne l'avait pas aidé à dormir –, il se leva à midi. Il se servit, comme toujours, un café fort et s'installa dans son canapé avec un livre. En ouvrant le roman, il constata qu'un extrait était souligné.

« -Trois morts, c'est exact, dit Danglard. Mais cela regarde les médecins, les épidémiologistes, les zoologues. Nous, en aucun cas. »

Ryan releva lentement la tête. Il tenait entre ses mains le célèbre livre Quand sort la recluse de Fred Vargas. De tous les auteurs de romans noirs, elle était sa préférée et ce volume était l'un de ses favoris. Mais ce matin-là, la citation prenait un tout autre sens...C'était un avertissement : Tristan ne voulait pas que la police fût prévenue.

Ryan saisit son portable etsélectionna le numéro de M. Dumont.

Le secret des Dumont [La Grande Dictée 2e jet]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant