Ryan prit le temps de se servir un café avant de s'installer à la table sur laquelle il avait posé le téléphone. Les messages ne cessaient de tourner dans son esprit, l'attaquant sans pitié. Il ne comprenait pas pourquoi son élève s'en prenait à lui. La violence qui suintait de ses mots l'alarmait. Il soupira, prit une gorgée de café pour tenter d'apaiser sa peur. Puis, il reprit le portable de Tristan et sélectionna l'icône des médias. Les images et les vidéos l'aideraient peut-être à localiser l'adolescent ou à interroger d'autres personnes que Tristan aurait pu croiser durant sa fugue. En regardant les photos, il se rendit soudain compte à quel point Camille avait eu raison : sur les images qui le représentaient, le jeune homme était toujours seul. Les autres adolescents avaient généralement sur leur portable beaucoup de clichés où ils étaient avec leurs amis ou leur famille. Tristan semblait appartenir à un autre monde, un monde de solitude totale. Les photographies étaient troublantes : sur la majeure partie d'entre elles, l'adolescent portait un sweat à capuche qui plongeait son visage dans l'ombre. Seule sa bouche était visible. Le sweat était gris clair : ce n'était pas le même que celui porté par l'adolescent qu'avait suivi Ryan et il était donc impossible de déterminer si les deux jeunes gens formaient une seule et même personne. Les photos étaient, pour la majeure partie d'entre elles, prises de très près, ce qui empêchait de déterminer le lieu. Les seules images qui montraient un arrière-plan étaient celles prises...
Au cimetière.
Ryan eut le sentiment qu'une lame lui perforait la poitrine. Il eut un hoquet d'effroi et son cœur se mit à cogner sa cage thoracique avec violence. Ses mains tremblèrent, il dut resserrer sa prise sur le téléphone pour ne pas le lâcher. Il avait, encore une fois, la preuve que ses soupçons étaient justes. Tristan était le profanateur du cimetière intercommunal. Le cœur battant, Ryan visionna les vidéos. Sur celles-ci, Tristan montrait la paume de sa main, sur laquelle était gravée une inscription au stylo rouge : Pour toi, Ryan. Bisous. Puis, il se filmait en train de détériorer les bâtiments et les voitures, avant de prendre la fuite et de couper la vidéo. Les autres étaient semblables.
Sous le choc, Ryan reposa le portable. Il se doutait depuis un moment déjà que Tristan était l'auteur des actes de vandalisme. Pour autant, en avoir la confirmation l'affectait plus qu'il ne l'aurait cru. Le tutoiement et l'emploi du mot « Bisous » n'étaient pas une marque d'affection, mais l'indication d'un mépris propre à la provocation. Tristan était en train de devenir un délinquant. Les poings de Ryan se serrèrent à cette pensée. Ce n'était pas contre Tristan qu'il était en colère : c'était contre ses parents – et contre lui-même. Contre leur lâcheté commune. Ils auraient dû tout lui dire, dès que Tristan avait été en âge de comprendre. Mais ils s'étaient montrés faibles, incapables d'affronter la réalité. Ryan serra les dents. Il avait envie de se gifler et de prendre les parents Dumont par les épaules pour les secouer. Ils lui avaient lié les poignets et l'avaient bâillonné en lui intimant de ne rien dire à Tristan. A présent, il était complice de leur silence, responsable tout autant qu'eux des méfaits de leur fils.
La nuit tombait sur Dijon, la drapant d'un voile noir piqué de diamants. Ryan frissonna. 19 h. Dans cinq heures, ce serait le dimanche 12 avril. Il déglutit. C'était lundi que tout allait se jouer entre Tristan et lui. Il ne pouvait plus se le cacher, il avait peur. Personne ne savait comment réagirait l'adolescent en le voyant. S'il avait pu casser des voitures...qui sait ce dont il serait capable face à Ryan ? Le cœur de ce dernier s'accéléra. Il secoua la tête. Penser à autre chose. Il devait se changer les idées. Ne plus songer à l'inévitable confrontation qui l'attendait lundi soir. Il se leva et parcourut sa bibliothèque du regard. Ses yeux s'arrêtèrent soudain sur un livre en particulier. Un livre qu'il n'avait pas ouvert depuis des mois. Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson. Un ouvrage qui l'avait profondément marqué lors de sa première lecture. L'auteur y décrivait en effet les ouvrages littéraires qui l'accompagnaient, ainsi que les paysages infinis qui l'entouraient. Pour Ryan, qui affectionnait particulièrement la solitude et les grands espaces sauvages, ce livre avait été une révélation. Mais ce soir-là, le volume avait une lumière nouvelle : un papier dépassait de ses pages. Ryan sentit son estomac se contracter. Quelle nouvelle surprise Tristan lui réservait-il ? Etait-elle bonne ? Mauvaise ? Il demeura immobile face à sa bibliothèque, les yeux rivés sur l'ouvrage, sans savoir comment agir. Finalement, il fit un pas en avant et, la gorge sèche, il leva une main pour prendre le livre. Celle-ci trembla lorsqu'il le sortit du rayon. Son cœur se mit à battre plus vite tandis qu'il allait s'assoir sur son canapé pour ouvrir le document à la page marquée. Comme pour tous les autres livres, une phrase était soulignée. Après l'avoir lue, Ryan releva lentement la tête et resta sans bouger, la gorge sèche, son cœur s'accélérant encore. Il commençait à manquer d'air. Sa main se crispa brutalement sur le livre, il se leva, ouvrit sa fenêtre en grand et inspira de profondes goulées d'air frais. Ses jambes tremblaient, il dut s'accrocher au rebord pour ne pas tomber. Sa main lâcha le livre, qui tomba ouvert à la page marquée, révélant la phrase soulignée.
« Lire nous confirme que la solitude est un trésor. »
Une phrase en apparence anodine et positive. Mais Ryan y avait lu un autre sens, beaucoup plus sombre et angoissant. Tristan lui demandait de venir seul. Ses craintes se confirmaient : ce ne serait pas une simple rencontre, mais bel et bien un duel. Ryan redoutait ce que l'adolescent pourrait lui faire. Seul face à lui, sans témoins autour d'eux, il serait à sa merci. Si Tristan l'attaquait, il ne savait pas s'il parviendrait à se défendre.
La nuit suivante, il dormit encore plus mal que d'habitude. Son cauchemar avait empiré. Il courait en direction du stade pour tenter d'empêcher l'irréparable, mais soudain il s'arrêtait brutalement, horrifié par la vision qui s'offrait à lui. Près de l'arbre, adossé au tronc, Tristan semblait l'attendre. Un sourire mauvais se dessinait sur ses lèvres dès qu'il l'apercevait et Ryan le voyait s'approcher lentement de lui, une lueur malveillante dans les yeux. L'adolescent glissa une main dans sa poche.
Ryan se réveilla brusquement. Ses cheveux se collaient à son front et son tee-shirt était trempé. Haletant, il repoussa ses mèches mouillées et jeta un coup d'œil à son portable. 2 h du matin. Lundi 13 avril. Ryan se figea. Il avait à nouveau le sentiment de ne plus pouvoir respirer. Ce soir. C'était ce soir qu'il devait retrouver Tristan au cimetière. A cette simple pensée, un haut-le-cœur le prit, si violent qu'il crut qu'il allait vomir. Il ferma les yeux et s'efforça de respirer calmement. Il devait se montrer fort. Ne pas craquer. Ne montrer aucune peur face à Tristan. Ce n'était qu'un adolescent, il ne risquait rien.
Il se répéta cette phrase toute la journée, s'efforçant de se concentrer sur son cours et de ne pas penser à ce qui l'attendait ce soir. Mais lorsqu'il se retrouva seul dans son appartement, la peur fondit à nouveau sur lui comme un rapace sur sa proie. Son cœur battait au rythme des secondes qui défilaient trop vite à son goût, il sentait la sueur couler sur son front, sa gorge se serrer, ses paumes devenir moites. Il craignait que son cauchemar ne se réalisât...
Lorsque son portable afficha 22 h 30, il avala péniblement sa salive, mais le mit dans sa poche et quitta son appartement. Chaque pas qu'il faisait grossissait un peu plus la boule qui se formait dans sa gorge. La nuit était noire, sans étoiles, seulement éclairée par les lampadaires de la ville. Ryan marcha jusqu'à l'arrêt « Godrans », puis il se décida à attendre le tramway. Le cimetière intercommunal était près du campus ; à pied, il mettrait trop de temps.
Il descendit à l'arrêt « Parc des Sports », le plus proche du cimetière. Là, il attendit un peu, le cœur battant la chamade. L'atmosphère était encore plus angoissante qu'en ville. Le campus était plongé dans l'ombre, seuls l'arrêt de tramway et un ou deux lampadaires placés ça et là diffusaient un tant soit peu de lumière. Ryan frissonna, mais finit par se mettre en route. Plus il avançait, plus son estomac se contractait. Il était venu pour comprendre et confronter Tristan à la réalité, mais chaque pas qu'il faisait lui donnait envie de repartir chez lui en courant. Il dut prendre sur lui pour continuer sa progression.
Lorsqu'il arriva enfin devant le cimetière, il s'immobilisa. Son cœur cognait sa poitrine, sa respiration était haletante et ses mains tremblaient. Le portail était ouvert, laissant voir les ombres des tombes et les branches griffues des arbres qui se découpaient sur le ciel. La lune éclairait les stèles, donnant au cimetière un aspect fantomatique. Horrifié, Ryan faillit faire demi-tour. Seule la pensée de ne pas se montrer faible face à Tristan lui donna le courage de reprendre sa marche. Il avança, guettant une silhouette dans l'ombre, un bruit, ou tout autre élément lui permettant de savoir que Tristan était là. Alors que ses yeux continuaient de fouiller l'obscurité, il entendit soudain des bruits de pas derrière lui. Le cœur battant à tout rompre, le sang fouettant ses tempes, il se figea, sans oser se retourner. Les pas s'arrêtèrent non loin de lui. Puis, une voix s'éleva dans le silence glaçant du cimetière.
-Tu as bien fait de venir, Ryan.
Ryan frémit. Il comptamentalement jusqu'à trois et se retourna.
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Le secret des Dumont [La Grande Dictée 2e jet]
AdventureRyan tente vainement d'oublier un événement traumatique qu'il a vécu dans son passé. Mais lorsqu'il doit préparer le jeune Tristan Dumont à la Grande Dictée, les fantômes reviennent le hanter...