noyé.

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« Au-delà de la terre des hommes, là où le Nord s'étend à l'infini,

Vit la plus cruelle de toutes les monstruosités ; la Sirène de Minuit.

Si vous l'entendez chanter, elle vous attirera jusqu'à vous noyer.

Si vous l'embrassez, elle vous envoûtera jusqu'à vous dévorer. »

La Lune est pleine, elle brille haut et fort dans le ciel d'encre. D'une pâleur irréelle, elle inonde la mer de ses rayons opalins, et sur les flots agités scintillent quelques reflets couleur d'argent. La houle est tendre, presque affectueuse, les vaguelettes qui en découlent viennent lécher la coque en bois de l'humble vaisseau qui fait silencieusement chemin sur le miroir d'eau. Les astres s'y reflètent péniblement, et Changbin croirait presque flotter sur un planisphère céleste, un croquis de nuages.

Une cartographie des étoiles.

Au loin, il peut voir quelques épais nuages s'approcher de leur position, mais la météo demeure clémente. Il jette un bref coup d'œil à son père, trop occupé à ramer pour remarquer la nervosité de son fils. Il sait que c'est une mauvaise idée, il meurt d'envie de faire demi-tour pour rentrer chez lui, mais face à l'attitude déterminée et implacable de son paternel, il ne peut qu'obéir, même contre son gré.

Finalement, la barque s'arrête, à cinq mètres à peine du rivage. Le plus âgé se lève, et Changbin l'imite sans un mot. Ils traînent leur bateau de fortune jusqu'à la rive, laissant derrière eux la marque de leurs pas sur l'étendue de sable mouillé, effacée quelques secondes plus tard par l'écume.

- Tu verras, Binnie, on y prend très vite goût.

Il se contente d'acquiescer, incertain. La chasse, ça n'a jamais été son truc ; la pêche encore moins.

Les deux silhouettes abandonnent leur embarcation derrière quelques rochers, pour longer le bas de la falaise dans un silence de mort. Son sac lui pèse sur les épaules, mais il ne dit rien. Il sait que cette nuit est importante pour son père : il ne doit pas le décevoir.

Il ne sait pas combien de temps ils ont marché. Peut-être deux minutes, peut-être cinq. Peut-être plus. Lorsqu'il se retourne, il a la sensation de n'avoir fait que quelques mètres, mais la crique lui semble bien loin pourtant ; lentement, la bande de plage s'amenuise, si bien qu'il sent son épaule frôler la roche adoucie par l'érosion et les années qui s'élève à ses côtés. Il soupire, un peu trop bruyamment, et son père se retourne furieusement, pour lui lancer un regard noir. Changbin se raidit, hoche la tête pour bien montrer qu'il a compris.

L'ombre noire de quelques pics rocailleux, jaillissant d'entre les vagues pour s'élancer vers le ciel, vient découper l'horizon déjà bien obscur de ses rebords tranchants et meurtriers. Ils progressent entre les écueils qui peuplent leur chemin devenu difficile, et soudainement, le silence, jusqu'ici uniquement troublé par leur respiration et le bruit étouffé de leur pied sur le sol mouvant, se voit brisé par un éclat de rire, clair et cristallin. Changbin se fige derrière son père, qui s'empresse de se cacher derrière un roc.

- Baisse-toi, il lui murmure fermement.

Changbin obéit.

Par-dessus le vent, quelques voix résonnent dans la nuit, des conversations banales, détendues, innocentes, entre de jeunes adultes, peut-être même encore adolescents.. Il y a des filles, il y a des garçons, il reconnaît au moins quatre personnes différentes, peut-être cinq. Il se redresse un peu, et ils apparaissent enfin dans son champ de vision. Il ne les voit pas très bien, mais ils ont l'air grands, plus que lui. Il aperçoit l'un d'entre eux rire aux éclats, tandis qu'un autre fait de grands gestes pour accompagner son discours. Il aperçoit deux formes se tenir l'une contre l'autre, et une dernière, légèrement plus petite que les autres, plus jeune, peut-être, se tenir un peu à l'écart.

là où les gens sont heureux (noyé) [minbin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant