Il était six (6) heures du matin, l’alarme de mon téléphone carillonnait si fort qu’il me tira du sommeil lénifiant qui me clouait au lit. Des bribres de souvenirs de la fête dont je revenais la veille repassaient en boucle dans ma tête. Aussi, me suis-je revéillé avec la gueule de bois. Dans ma tête jouait l’harmonie inaudible d’un orchestre désenchanté. J’en pouvais plus de cette migraine ! Je me dirigeai vers la cuisine pour prendre une tasse de café, dans l’idée d’apaiser les maux de tête. En revenant de la cuisine, j’ai aperçu mon père au salon. son récepteur en main, il écoutait aux infos. Son visage terne et blafard décrivait la situation oppressante du pays. La première partie du journal s’est épuisée. Parait-il que le chef d’Etat aurait de nouveau fraudé aux élections et cela a engendré des émeutes. Ce qui ne manque pas d’éveiller la colère froide de la communauté internationale.L’orage battait son plein dans ma tête. Je ne trouvais guère l’importance à me triturer la mémoire avec les tergiversations et les violations ignominieusement avilissantes des droits démocratiques par le pouvoir politique. En plus de la tempête qui me ravitaillait les nerfs, je devais supporter la puanteur existentielle de notre démocratie avariée.
La deuxième partie du journal s’annonça. Il semblerait que la situation s’est détériorée à port-au-prince. Les citoyens traduisent leur colère fulminante par des soulèvements. Sous la férule outrancière de la frénésie qui leur emportait, certains ont mis feu à un autobus « Diyite » qui transportait des étudiants de diverses facultés. A la transmission, par des journalistes de la radio caraïbes de l’identité des personnes calcinées dans l’incendie du bus, j’ai pu décortiquer les syllabes formants les noms de mon petit frère. La nouvelle immobilisa mon père pendant que le récepteur glissa entre ses doigts. Depuis, le deuil planait dans notre surface, et l’amertume fracassait nos entrailles.
Deux ans plus tard, les ombres noirs s’évaporaient dans la résignation maussade des membres de ma famille. Suivant les conseils de mes ascendants, j’ai décidé de vaquer vers un autre horizon afin de me protéger contre ce pays mangeur d’homme comme le disait si bien mon père. Je voulais fuir le plus loin possible les tyrans immodérés de l’Ile noir. Arrivé en ALASKA, je croyais que j’allais pouvoir repartir à Zéro. Mais trop de souvenirs ont vieillis ! La lumière du soleil qui rivait sur mon lit à chaque matinée, les soirées troubadours avec mes copains, mes week-ends au bord des plages des côtes de fer, les soirs d’été, les fêtes champêtres. Et mes journées à la campagne ou je foulais l’herbe frais des sentiers ? Et les baignades dans les rivières de Labourse ? Je fais quoi de mes promenades dans la ville de port salut ou le vent baignait ma tête nue ? Et me voilà refugié sur une terre où je suis esclave. Esclave du travail, esclave du temps, esclave du froid, esclave des taxes !
Quelle gastronomie en ALASKA ! Les gens sont bien, affable et généreux. Mais mon cœur est gelé, et mon âme à dix mille pied de mon corps. C’est déjà l’hiver, et je suis crispé par le froid. Comme j’aurais besoin d’une bonne couche de soleil !En revenant du boulot, je suis allé saluer ma femme. Je l’ai trouvé dans notre chambre, enveloppé dans son manteau, fondant en larme. Dès qu’elle m’a aperçu, elle est venue s’accrocher à moi et lança : « chéri, Haïti me manque, la ville des Cayes me manque . Rentrons !!!» On dirait qu’elle avait soupçonné ce qui tramait dans ma tête. Sans trop tarder, j’ai appelé à l’agence de voyage et réservai deux billets aller simple. A l’aube nous quittâmes ALASKA. Arrivé chez mes parents, la surprise fut énorme et les réprimandes de telle. Mais personne n’imaginait ce que j’ai vécu là-bas. Car bien qu’en Haïti la sécurité des gens n’est pas telle qu’on l’espérait, mais nous les haïtiens nous savons pertinemment qu’il n’y a qu’un endroit où nous pourrons nous sentir chez nous. C’est là où le cri du coq nous annonce le réveil, là où les rythmes du compas calcul géométriquement nos pas et nos battements du cœur. Oui, il n’y a qu’un endroit, C’est bien ici et nulle part ailleurs.
VOUS LISEZ
C'est ici et nulle part ailleurs
Short StoryTexte reflétant la nostalgie de l'auteur en terre étrangère alors que l'insécurité est en vogue dans son pays d'origine...