Chapitre 21

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La salle du conseil était désespérément vide et le resterait encore quelques minutes.

Le trouble de Lyssandre était tel qu'il ignorait si cette solitude le soulageait ou non. D'une part, elle laissait à loisir la peur régner, les paroles et les actes passés se déployer. La fatigue les décuplait. Les dires d'Elénaure, inspirés par la douleur, les flèches des archers dans les rues d'Halev et l'ambigüité du chevalier.

Il se demanda si être roi se résumer à cette sensation de flou. Il ignorait vers quelle folie il marchait. Combien d'autres attentats aurait-il à essuyer ? Les atteintes ne le visaient pas seulement lui, mais l'ensemble de ses sujets. Lui qui se révélait incapable de préserver sa propre vie se savait inapte à préserver son peuple.

Pourtant, d'ici quelques minutes, il lui faudrait troquer la peur, l'errance, par la fureur froide, légitime, d'un roi.

Dans cette affaire et parmi ses conseillers, il ne se connaissait aucun allié. Il avait essayé de s'arroger une issue, mais pouvait-il réellement y compter ?

— Sire ?

Le chevalier de Soann arqua un sourcil. Ce roi, si frêle, donnait l'impression d'un nouveau-né. Un nouveau-né exténué et à bout de forces.

— Vous avez bien entendu, murmura Lyssandre. La guerre et cette menace dont j'ignore la cause sont deux fléaux que je ne peux espérer vaincre seul. Vous êtes un soldat, vous connaissez la guerre bien mieux que moi. J'ai seulement réfléchi à un plan et...

— Qu'attendez-vous de moi, Sire ?

— J'aimerais que vous lui donniez les moyens de réussir, que vous corrigez les erreurs que j'ai pu commettre en le concevant et, surtout, que vous appuyiez ma voix au conseil.

Le filet de voix émit par le souverain s'élevait à peine. Ténu, à peine perceptible, Lyssandre ne jouait aucun rôle. Il ne dégageait pas la prestance d'un roi, mais une coquille vide qui n'avait pas eu le privilège de prendre une dimension humaine.

Cette image était juste. Avant d'être un roi, Lyssandre devait apprendre à être un homme, et non cet être en demi-teinte qui répondait à de pâles envies et à l'obligation de se terrer dans l'ombre des disparus.

L'homme, à ce prix, ne saurait exister.

— Le pouvez-vous ?

Alzar parut hésiter. Il en avait les capacités, bien sûr, mais le conseil débuterait dans moins d'une heure, le temps de rassembler les conseillers et les ministres. Comme en écho à cette pensée, alors qu'il acquiesçait plus par habitude que par volonté, Lyssandre ajouta, d'une voix où transparaissait l'inflexion du désespoir :

— Hélas, le temps nous manque. Il me manque, à moi aussi, et je ne peux vous en offrir davantage ou c'en sera fait de moi.

D'aussi loin que Lyssandre se souvienne, il avait toujours nourri cette sensation de manque. Manque à lui-même, manque aux autres. Le temps lui manquait, ou alors la vie, ou encore la mort. Comme s'il était coincé entre deux états, insatisfait, profondément perdu.

Et tout cela lui manquerait encore.

Lyssandre avait mangé un encas imposé par un médecin un peu trop intrusif. Il n'avait pas eu le cœur à le renvoyer et avait grignoté les biscuits à la cannelle encore chaud et le thé apporté par une servante. Deux mets qu'il affectionnait particulièrement et qui redonnèrent à son visage quelques couleurs.

Longue vie au roi [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant