_ Bonsoir Mademoiselle, me lance-t-elle d'un air jovial avec un accent très prononcé.
_ Bonsoir Madame, est-ce que le restaurant est ouvert ?
_ Oui, oui. Vous désirez dîner ?
J'acquiesce et je la suis à l'intérieur. Il y a déjà un client attablé. Il lève la tête vers moi. Je tressaille un peu en le trouvant plutôt mignon. C'est étrange, il est type italien et d'une façon générale, je ne suis pas attirée par eux, je les trouve bizarres. Je détourne la tête et m'assieds à la table que m'indique la gérante. Quand elle me tend le menu, je tombe un peu des nues : je ne connais absolument pas la cuisine coréenne et les noms des plats me laissent un peu perplexe. Heureusement, la gérante m'indique ce qu'ils contiennent et je finis par porter mon choix sur le bulgogi (du bœuf mariné) et du riz blanc. Elle me sourit et retourne à son boulot. Je soupire et ferme les yeux un moment. La sonnerie de mon portable me sort de ma léthargie : c'est Sara qui vient de m'envoyer une photo d'elle. Elle est tout simplement canon. Elle a préféré laisser sa tignasse à l'air, ce qui lui confère un petit air sauvage... Oh la la ! Je sais déjà ce qui va se passer ce soir ! Elle n'a visiblement pas écouté mes recommandations. Bref ! C'est sa vie après tout ! Je la complimente sur sa tenue et je range mon portable dans mon sac. Mon regard tombe à nouveau sur le client italien. Il paraît très concentré sur ce qu'il lit, une revue ou une brochure, je n'en sais trop rien. Il a les cheveux longs, tirés en arrière en un chignon lâche. Je le trouve très élégant. C'est bizarre. Il doit avoir dans les vingt-cinq, trente ans ? Il porte un complet bleu marine et une cravate gris perlé. Sa chemise est blanche. Un commercial ? Un cadre dans une grande entreprise ? Il est vraiment pas mal pour un italien ... Je me donne une gifle mentale. Est-ce que le fait de savoir que Sara aura bientôt un petit ami, même si ce sera sans doute éphémère, me donne envie d'avoir quelqu'un moi aussi ? J'en ai tellement marre d'être seule, tellement marre de ne compter pour personne ! Si seulement j'avais au moins un petit flirt, rien qu'un tout petit, je m'en contenterais. J'ai envie de me réveiller avec un message rempli de mots doux le matin, j'ai envie de me préparer et de me faire belle pour sortir avec un mec... Mais en fait, ce n'est pas juste un mec que je veux. Je veux Caïn ! C'est lui qui me fait vibrer, c'est lui qui m'attire. Jamais encore je ne m'étais sentie aussi attirée par quelqu'un ! Mais, je dois me rendre à l'évidence : je n'aurai jamais la moindre chance de lui plaire. C'est Marion, son type de femme, pas moi ! Je ne suscite rien chez lui... Je suis juste une collègue. Et même si on a bien discuté et bien rigolé à midi, ça ne veut strictement rien dire. Je m'attriste subitement. Je sens que je finirai ma vie seule, sans mec, sans enfant, sans personne ! Je devrais peut-être penser à adopter un chat ! N'est-ce pas l'accessoire indispensable de toute célibataire qui se respecte ?! Le bruit de la porte qui s'ouvre me sort de mes réflexions et c'est un groupe de quatre personnes qui entre dans le restaurant. Ils s'installent à la table placée entre l'inconnu et moi et du coup, je le perds de vue.
Le reste de la soirée se déroule calmement : la nourriture, excellente, m'a bien revigorée. Je passe au moins une heure dans le restaurant et quand je le quitte, le client en question est toujours là. En fermant la porte derrière moi, je le vois lever la tête et me regarder. Je frissonne encore une fois. Bizarre. Je suis sûrement frustrée.
Je me dépêche de rejoindre la bouche de métro et je m'engouffre littéralement dans la rame qui me ramènera jusqu'à chez moi. J'ai soudainement hâte de rentrer. J'ai soudainement hâte d'appeler mes parents et d'entendre leurs voix. Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Un coup de blues, sans doute. J'ai la gorge un peu serrée et je me sens seule. C'est avec un indicible soulagement que je pousse la porte de mon appart, un studio à peine plus grand que celui de Sara, que j'ai aménagé avec goût – enfin, selon moi --, dans des tons blanc et beige. J'aime beaucoup les plantes, du coup, il y en a pas mal dans l'appart, ce qui apporte une note saine et zen à l'espace. Je respire un peu mieux, je suis dans mon espace, mon élément, je retrouve mes repères. Je me débarrasse de mes chaussures à talons dans l'entrée et j'enlève veste et écharpe qui terminent négligemment lâchés sur le porte manteau. Je me laisse tomber sur le siège près du bureau et me saisis du téléphone. Le numéro des parents est enregistré en mémoire et c'est avec joie que j'entends le « allô » de maman. Mon cœur se réchauffe.
_ Maman, comment tu vas ?
_ Ah Kalyssa chérie. Ça va, ça va. Et toi ? Il ne fait pas encore trop froid ?
_ Non, ça va encore, après tout on n'est qu'en fin octobre tu sais, mais...
_ Kader ! Kader , viens vite ! C'est Kalyssa au téléphone ! Tu disais quoi ma cocotte ?
Je déteste quand maman me fait ça. Elle a l'art et la manière de m'interrompre pendant que je lui parle pour parler à quelqu'un d'autre. Kader, c'est mon père, ma mère c'est Séverine.
_ Je te disais qu'il ne fait pas encore trop froid pour l'instant.
_ Allo, Kalyssa, ça va ?
Mon père ! Ma mère n'a même pas attendu que je lui réponde pour passer le téléphone à mon père.
_ Oui papa, ça va.
_ Il ne fait pas trop froid par chez toi ?
Je hausse les yeux au ciel. La conversation sera compliquée.
Quarante-cinq minutes plus tard, je sors de la douche, éreintée. Mes parents vont bien, mes grands-parents aussi. Mon frère a une nouvelle copine, ma cousine Jessica est maintenant fiancée, ce qui a eu comme conséquence la ritournelle habituelle de maman : « J'espère pouvoir assister au mariage de l'un de mes enfants un jour ! » Elle m'agace avec ça ! Vu mon frère qui ne cesse de papillonner de femmes en femmes, c'est pas lui qui lui fera ce plaisir et quant à moi... j'ai déjà du mal à rencontrer un gars correct, alors me marier... c'est pas demain la veille ! C'est fou comme c'est agaçant, cette façon dont les gens te renvoient à ton célibat ! J'ai parfois l'impression que dans ma famille, c'est la course au couple et au mariage. La plupart de mes cousines sont casées, certaines ont déjà des enfants ! Et moi, on me fait souvent bien sentir que je suis « en retard » ! J'en ai marre des « Alors, et les amours ? », ou encore les « mais tu es trop difficile, baisse un peu très critères » et je ne supporte plus les « mais dépêche-toi ! A ton âge, moi j'étais déjà mariée et enceinte ! Le temps passe vite ! ». Du coup, j'ai souvent l'impression que si je n'ai personne, c'est parce que je ne suis pas assez quelque chose : pas assez mince, pas assez belle, pas assez intelligente, pas assez sociable, pas assez blanche, peut-être aussi...
Voilà ! à force de penser à ce genre de choses, j'ai le cafard et je me sens déprimée ! Si seulement j'avais quelqu'un !
J'enfile mon pyjama et je me plante devant mon miroir pour m'occuper de ma tignasse. En regardant mon reflet, je me demande ce que les gens pensent de moi, en général. Une petite voix dans ma tête m'interpelle : « et, toi, que penses-tu de toi ? ». Je détourne le regard. Je ne sais pas trop quoi répondre à cette question. Est-ce vraiment si important ? Après tout, je dois avoir tout de même un peu de charme, vu que Caïn a supporté ma compagnie aujourd'hui... Peut-être bien que ce déjeuner avec lui ne voulait rien dire, c'est vrai que je ne dois pas m'emballer, mais j'en ai profité. Et c'est vrai qu'il faut profiter des bons moments de la vie. C'était une opportunité à ne pas manquer. Ça m'a fait un bien fou de discuter avec lui en tête à tête. Oui, et puis, il ne voulait sûrement pas manger seul, du coup, il a préféré passer du temps avec moi qui était là, à ce moment-là... Bref, laissons courir et n'y pensons plus ! ça ne se reproduira plus de toute façon. Je me natte rapidement les cheveux et je décide d'aller me coucher, non sans avoir réglé mon réveil. Hors de question que je sois en retard demain !
VOUS LISEZ
Mr. Caïn
General FictionJe la suivrai comme son ombre, je suis celui qui l'a tuera d'une balle dans la tempe, sans aucun remord, sans même penser à la peur. Je suis l'homme qui la rendra dingue en moins de deux. Je suis son pire cauchemar et son plus beau rêve, je suis son...