La nuit n'avait pas été des plus reposantes. Il faisait déjà moins froid dans les Vespérales, mais la route était aussi beaucoup plus empruntée, à cause des pèlerins et tout simplement des voyages plus incessants dès qu'on sortait des Blanches-Landes. Beaucoup de gens passaient sans s'inquiéter du bruit qu'ils faisaient, et Isolde avait été réveillée par les premières lumières du jour.
Fan était déjà assise dehors, en train de repriser les robes d'Isolde, ayant assez observé la mode des Vespérales pour faire des changements en étant sûre d'elle. La quantité de tissu utilisée pour les robes des Blanches-Landes jusqu'aux Costes était dégressive, elle pouvait donc se permettre de repriser les mêmes vêtements au fur et à mesure qu'elles passaient chaque région.
-Explique-moi, dit Isolde en s'asseyant à côté d'elle.
Il y avait peu de choses que Fan aimait autant que parler de mode. Isolde adorait l'écouter, parce que c'était un des rares moments où elle parlait de façon à ce que tout le monde l'entende, avec des gestes de main et des lumières dans les yeux.
-On a toujours le col haut et les manches serrées. Je pense que c'est pour le vent, éviter les maux de gorge et les manches qui volent. On a aussi la même influence militaire, sauf que nous aux Blanches-Landes on utilise juste le même tissu matelassé que les soldats parce que c'est chaud, et qu'on ne produit pas grand-chose d'autre. Il faut importer pour avoir des couleurs et des textures différentes. Ici, c'est le contraire, ils changent les textures mais copient la silhouette, avec le pan gauche qui se rabat sur le pan droit. Ils le fixent le long du torse avec des attaches ou des broches pour les plus riches, et ensuite ça s'évase en bas.
Le sujet intéressait peu Isolde, en vérité, jusqu'à ce qu'elle demande à Fan pourquoi elle était intéressée. "C'est l'art le plus accessible du monde," lui avait-elle dit, "et ça devrait t'intéresser aussi. Le vêtement est le langage des traditions.". Et effectivement, Fan lui avait ouvert les yeux.
Tout ce qu'elles portaient, elles le portaient pour une raison. Fan était intéressée par le vêtement, Isolde par la raison.
-Comment tu vas trouver des attaches ? demanda-t-elle.
-Tu as des broches, non ?
-Deux seulement.
Celle de sa mère, le chardonneret piqué de citrine et de grenat, et celle de ses dix-huit années, une main de Kal. Il s'agissait de bijoux d'apparat, et Isolde n'était pas sûre qu'elle soie autorisée à s'en servir pour maintenir une robe en place. C'était des précieux à forte valeur symboliques : elle devait donner la main à sa première fille, et serait enterrée avec le chardonneret, renouvellant la sélection de bijoux génération par génération. Le chardonneret était aussi la seule chose qui lui restait de sa mère.
-Je peux improviser des trompe-l'oeil pour le reste.
Quand on en venait à la couture, rien n'était un problème pour Fan. Rien n'était compliqué. Elle piquait et coupait comme si elle était la reine de ce monde, et elle avait raison. Personne n'était là pour contredire ses décisions. Le rêve.
Peu à peu, le reste du convoi s'éveilla, et ils se remirent en marche un peu après le commun des mortels, encore habitués aux matins tardifs des Blanches-Landes. La journée allait être lente, Isolde le sentait : plus ils approchaient du temple de naissance de Kal et Nam, plus la foule s'épaississait. Ce serait un miracle s'ils ne passaient pas la journée à descendre et remonter pour faciliter le passage à pied de la voiture. Isolde portait encore des vêtements adaptés aux Blanches-Landes, et il n'y avait pas d'arbres assez grands sur le bord des routes pour les protéger de l'ombre, et la foule était serré. Ils marchaient dix minutes et elle était déjà en nage.
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Depuis le Perce-Neige
ФэнтезиSuite à ses fiançailles avec une quasi-inconnue, Siegfried Burgrave doit traverser le pays en un mois, accompagné de sa soeur, de sa meilleure amie, et supervisé par un chasseur à gages bordant sur l'incompétence. Le chemin jusqu'aux Costes est long...