Chapitre 23

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Le sourire du prisonnier creva son visage au point où la peau aurait pu se diriger aux commissures. Il jubilait.

Lyssandre se fit violence pour ne rien laisser paraître. L'homme ne le savait pas, mais il venait de presser le doigt sur une crainte profonde. Cette impression de n'être qu'une coquille vide créée par son père le jour où il avait décidé de lui donner le nom de sa mère et de le faire appeler Lyssandre. Un réceptacle qui s'était réfugié dans la littérature, dans les songes, pour ne plus avoir à affronter sa propre inconsistance.

— Sire ?

La voix du chevalier le rappela à lui et il parvint de justesse à reprendre pied. Il se raisonna et s'entendit asséner, avec une violence qui l'étonna :

— Dois-je vous rappeler qu'un crime comme celui dont vous vous êtes rendu coupable est puni de mort ? C'est la peine capitale qui vous attend et c'est à moi de la prononcer. Ce pouvoir sur votre misérable existence me rend-t-il plus vivant à vos yeux ?

— Vous croyez ? En quoi me donner la mort vous rendra plus vivant ? Ces gens qu'on a saigné sur les pavés d'Halev, ils sont morts, nan ? Et vous ?

— Vous êtes encore en vie, déclara le chevalier, après s'être approché et avoir empoigné les cheveux du coupable pour lui redresser la tête et le forcer à soutenir son regard. Croyez-moi, cela m'est douloureux.

— En voilà une menace ! se gaussa l'homme, sans s'arracher au contact visuel que l'autre lui imposait.

— N'êtes-vous pas curieux de savoir quelles extrémités le corps humain est capable d'endurer en terme de douleur ?

— J'crois pouvoir vous apprendre un rayon à c'sujet.

— Vous croyez ?

Le chevalier cloua au sol le criminel, non sans arracher une généreuse poignée de cheveux sales, et piétina le bras brisé sans quitter le quitter du regard. Un long halètement résonna entre les murs de la geôle. Halètement qui, à mesure que les secondes s'écoulaient, se muait en un geignement pathétique.

— Chevalier, il suffit !

L'intéressé s'écarta docilement et son visage se referma. L'espace d'un instant, il avait laissé s'exprimer une part de lui qu'il pensait muselée, qu'il pensait contrôler. L'appel de la violence et la réponse que les hommes lui donnaient toujours : un sempiternel renchérissement.

Le détenu émit un faible rire qui s'acheva sur une quinte de toux.

— Pourquoi ? Dites-moi pourquoi vous vouliez me tuer et pourquoi vous avez tué ces innocents ! exigea Lyssandre. Ils n'étaient pas une erreur, vous vouliez les abattre.

— Pour l'honneur de vous rencontrer, bien entendu !

Le chevalier renifla, prêt à reprendre son action là où il l'avait laissée.

— Quelle chance de rencontrer notre bon roi ! Quelle chance de mourir ici, à la vue de tous alors qu'il y en a tant qui crèvent sans que personne n'en sache rien !

— Cette tuerie à Halev, c'était pour cela ? Vous vouliez attirer l'attention sur vous, vous donner une raison de vivre, et c'est vous qui me reprochez de ne pas être suffisamment vivant...

La voix de Lyssandre était basse sans être dangereuse. Faible, comme si les mots lui écorchaient la bouche s'il les prononçait plus haut.

Longue vie au roi [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant