- Janda je te présente Sully.
La vieille dame m'offrit un gracieux sourire avant de poser ses deux mains sur mes épaules et de me faire quatre bises. Comme la plupart des personnes âgées que je rencontrais, Janda était plus petite que moi de quelques centimètres. Le dos courbé, le visage en forme de pomme, les yeux rieurs, les paupières gonflées et les lèvres recroquevillées. Généralement, je n'aimais pas les vieux car tous ceux que j'avais rencontrés jusqu'ici m'avaient tous, sans exception, fait la leçon. Sois-disant parce qu'eux avaient vécu plus longtemps que moi, ils se permettaient de me dire quoi faire de ma vie.
Et tous, sans exception, me répétaient que j'étais trop jeune pour pouvoir m'inquiéter de quoique ce soit.
Mais Janda était différente. Elle avait un sourire timide et un regard apaisant. Elle palpa affectueusement le bras de Scott avant de lui dire de sa voix fragile « Quelle belle plante ton amie. » et de rire d'un rire sans jugements.
Sa maison sentait le vieux bois et la vieille tapisserie, un capharnaüm sans nom de décoration diverses. Sculptures africaines, figurines en verre, vaisselle chinoise et des tableaux représentant pour la plupart des prairies sauvages. Chacun de ses meubles étaient anciens, en bois non-vernis, ornés, sculptés, fendus. Son plancher grinçait, ses escaliers encore plus, c'était la première fois que je voyais une maison si ancienne.
Scott m'avait raconté qu'il était proche de sa grand-mère adoptive, qu'il avait l'habitude de s'y rendre plusieurs fois par semaine lorsqu'il était petit, et qu'aujourd'hui encore il s'arrangeait pour la voir le plus régulièrement possible. Il l'aimait de tout son cœur, et il était persuadé que j'allais l'aimer aussi, alors il a insisté pour que je vienne prendre le goûter avec lui.
Et effectivement, Janda m'inspirait confiance.
Une fois dans la cuisine elle nous somma de nous installer à table tandis qu'elle enfourna des sablés avant de se joindre à nous avec du coca et du jus d'orange, m'adressant un nouveau sourire amical tout en s'asseyant près de moi.
L'après-midi passa plus vite que prévu. Les sablés furent délicieux, et arriva le moment où Janda apporta une vieille boîte en bois où s'y trouvaient multiples enveloppes contenant de vieilles photographies, certaines encore en sépia. Quelques unes de Scott enfant, d'autres de ses parents adoptifs dont je voyais le visage pour la première fois, et enfin, quelques photos de Janda à l'orée de ses 25 ans. Jeune et splendide accompagnée d'un jeune homme à la moustache curieuse.
- Gérard. Dit-elle simplement, et un regard qui valait cent mots. Elle s'attarda une minute sur la photo avant de passer à la suivante. Gérard et Janda, encore.
- Puis-je vous poser une question intrusive ? Osai-je enfin, timide.
Janda reposa la photographie sur la table et se tourna vers moi avec attention.
- Est-ce que la mort vous fait peur ?
Le regard de la vieille dame parut se perdre un instant au milieu de nombreuses pensées, et je sentis Scott m'observer avec inquiétude. Ma question était risquée, mais j'avais besoin d'entendre la réponse de la bouche d'une personne qui avait vécu plus de 80 ans sur cette terre, et qui avait déjà dû connaître plus d'un deuil dans sa vie, dont celui de l'être le plus aimé.
Alors qu'elle était encore debout, elle tira une chaise et vint s'installer près de moi, posa une main douce sur les miennes, et me regarda dans les yeux.
- Je n'ai aucun regret dans ma vie, pas un seul, alors non la mort ne me fait pas peur. J'avais 18 ans quand j'ai rencontré Gérard, je voulais un homme éduqué et drôle, j'ai eu les deux. Mais mon époque est si différente de la vôtre Sully, le travail était différent, on ne voyageait pas aussi facilement qu'aujourd'hui, on n'avait que nos lettres épistolaires pour garder contact lorsque la distance nous séparait. C'était un autre monde. Mais ce que je peux te dire, c'est que j'ai réellement vécu les plus belles années de ma vie aux côtés de Gérard, et si le bonheur commence quelque part, c'est dans les gens qu'on aime.
Elle a caressé mon genou avec compassion, et a reposé son attention sur la photo de Gérard. Gérard qui tenait chastement la main de Janda, d'affreuses lunettes rondes sur son nez bouffi. Il était loin des canons de beauté d'aujourd'hui, mais il était la perfection aux yeux de Janda. Ça m'a émue. Et inconsciemment, j'ai regardé Scott, et je me suis surprise à penser que Scott était éduqué, attentionné, intéressé et intéressant, je le trouvais si beau, pourtant j'étais la seule à l'avoir remarqué dans mon école, étais-je la seule à le trouver magnifique ?
- Sully... A doucement dit Janda, sa main se refermant sur la mienne, comme pour me tirer à mes rêveries en délicatesse. Ce dont je suis certaine, c'est que du travail il y en a partout, l'argent ça vient ça part, mais les amis sont rares. Je pense énormément, et constamment à Gérard. Et il m'arrive même de lui parler fréquemment à voix haute comme s'il se trouvait encore près de moi. Il me manque mais je continue de l'aimer si fort, et j'aime la vie plus que jamais, j'aime sortir dehors, aller faire mes courses, m'occuper de mon jardin, parler aux voisins, et je me sens encore bien trop en forme que pour mourir maintenant, mais le jour où la mort viendra me chercher, je saurais m'en aller sans regret parce que j'ai fait tout ce que je voulais faire, et j'ai vécu auprès de la personne qui a fait de mon monde un paradis.
Assis au fond du bus qui nous ramenait chez nous, Scott et moi étions restés silencieux durant l'entièreté du trajet. Je ne cessais repenser aux paroles de Janda. Elle était si sage, si aimante, avec une telle grand-mère, je comprenais d'où venait la délicatesse de Scott. J'ai tourné la tête vers lui, et j'ai laissé mes yeux le dévorer. J'aimais Leaticia, j'aimais Ed, j'aimais en quelque sorte Mike, et j'aimais Scott à la folie. J'aimais Lucas de façon inconditionnelle, et j'aimais mes parents malgré leurs erreurs.
Je voulais cesser de leur en vouloir.
Et je crois que je me sentais enfin prête à leur pardonner.
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Hello Scott /Histoire terminée ~♥/
RomanceIl n'y a pas de populaire. Ni populaire, ni intello. Pas de capitaine de football non plus. Pas de racaille, de pouf, de paumé. Rien Il y a seulement Scott Walker, Et lui, il est spécial.