Un cadavre. Dans une clairière où brille un soleil apaisant, se trouve un cadavre. Sous une petite montagne de terre. Toute sa peau a été arrachée au couteau. Les glandes sudoripares ont cessé de suinter, le sang commence à sécher, les excréments souillent le bas du corps. Il est rigide et se refroidit. La puanteur est accablante, ce qui n'empêche pas toutes sortes d'insectes de se régaler. Des larves de mouches grouillent tout autour de l'anus. Si l'homme qui avait habité ce corps était toujours en vie, il pleurerait, tellement la sensation aurait été répugnante. Les nécrophages font leur travail et mangent la chair brunie par le soleil. Une couleuvre s'est fait un chemin entre les organes et s'y tient au chaud. Le phallus a été sauvagement coupé et est à présent au fond de la gorge entourée d'une atroce cravate rouge que l'homme aimait bien.
Le cadavre est une œuvre d'art, c'est la représentation humaine du serpent qui mord sa queue. Il est signe d'infini. C'est l'infini souffrance que le jeune homme a fait endurer à ses proches, à son entourage. C'est aussi celle avec laquelle il devra vivre pour toujours, dans l'autre monde. Il lui reste une chance afin de se faire pardonner et de régler ses torts. Une chance qui n'est pas donnée à tout le monde. Une deuxième chance.
Le corps, lui, ne sera pas trouvé avant longtemps. Tous croient voir l'homme marcher en pleine rue et vivre sa vie de tous les jours, mais ils ne voient que le peu qu'il reste de celui qu'il a été. Les passants, sa femme, ses collègues, les caissières, son chien, sa grand-mère, tous sont bernés par cette pâle image. Cet homme silencieux et triste qui leur rend visite. C'est pourquoi les policiers ne recevront pas d'appels inquiets avant un moment. Personne ne cherche l'homme. Personne ne sait qu'il est mort.
Quand la police le cherchera enfin, elle n'aura aucune piste. Le dossier sera classé dans la catégorie des affaires non réglées et sera déterré quand il y aura une brèche dans les affaires de la compagnie où l'homme travaillait. Une histoire de corruption qui aurait mal tournée. L'homme en savait trop et comptait exposer ce qu'il savait aux journaux. Le meurtrier était un tueur-à-gage engagé par la compagnie pour le faire taire et il n'avait pas fait les choses à moitié.
Quand le corps sera enfin examiné par les médecins légistes, il sera découvert que l'ADN correspond à celle d'un homme qu'on appelait Denis Robert. La date du décès sera cependant bien avant les dernières fois où Denis aura été vu. L'assassin avouera s'être demandé pourquoi personne ne s'inquiétait de la mort de celui qu'il avait tué. Une enquête longue et compliquée qui ne mènera à aucune conclusion, sauf à celle que celui qui l'avait tué devra être puni. Ce dernier sera jugé coupable et condamné à mourir sur la chaise électrique. Ses derniers mots seront : « Faites attention aux serpents. » Personne ne comprendra.
Tout ça sera cependant pour plus tard. Le cadavre est encore un peu chaud. La petite montagne est caressée par la brise. Seule la puanteur et le bruit des mouches qui volent troublent la paix de la forêt. Tout est calme, si calme. Il y a la nature, et le cadavre. Un cadavre dans une clairière où brille un soleil apaisant. Un cadavre.
560 mot
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Ouroboros
Short StoryDes passants, un collègue, des proches. Tous visités par un homme à une cravate rouge. Il a tellement changé. Le seul élément qui leur permet de savoir que c'est Denis Robert: sa cravate rouge.