Lettre 1

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L'avion heurte le sol à grande vitesse, mes oreilles comme toujours ont du mal à décompresser, je sers fort les dents et attend que la douleur passe.
Enfin nous ralentissons, une hôtesse nous informe de sa voix douce, mielleuse et insupportable que nous sommes arrivés à destination Paris Orly, elle nous remercie d'avoir choisi Easy Jet et tout le bla bla.
Je me lève, ôte mes lunettes de myope, descends ma valise et la laisse traîner derrière moi en attendant de descendre de l'avion.
Je suis, paraît-il, en période de deuil, d'après la psychologue que je n'aime pas trop trop et la petite New Yorkaise que je n'aime pas trop trop non plus. Elle et ses parents m'ont accueilli chez eux durant toutes les vacances d'été, histoire d'améliorer mon niveau d'anglais parce que les langues c'est important ! Pour précision ce ne sont pas mes propos mes ceux de ma mère.
Alors, je suis en période de deuil comme je le disais. Tout d'abord je ne porte pratiquement que du noir. Par exemple, aujourd'hui je porte une robe légère - noire - une veste en jean - noire - et des converses - noires. Je respire la joie de vivre pas vrai ? Pour être honnête je commence à sortir plus ou moins de cette "période", il faut dire que cela fait plus ou moins cinq ans que je suis dans cette "période".
Bref, (vous remarquerez que j'utilise souvent ce mot sûrement parce que je m'égare régulièrement dans mes pensées, c'est d'ailleurs pour les clarifier que j'écris, enfin bref) je parcours le long couloir de l'aéroport, les yeux rivés sur mes pieds. Je remarque que je ne marche pas très droit, j'essaie de rectifier le tir, j'aime ne regarder que mes pieds, ça m'aide à réfléchir et puis cela m'évite d'affronter le regard des autres, moi et mon petit air de fille fragile, un peu dérangée, je peux le dire, et paumée. De toute façon mon regard se dirige toujours dans deux directions, pas plus, mes pieds ou dehors, je suis réellement hypnotisée par les paysages, en voiture, il m'est impossible de détacher mon regard de la vitre, en classe c'est pareil, on dit que je suis dans la lune, que je manque de concentration. Je m'en prends plein la figure mais j'agis malgré moi, personne ne peut comprendre alors je vide mon esprit, j'écoute les reproches et puis je me tais, j'évacue et je fixe mes pieds avant de repartir.
Bref (encore une fois !) je décide de m'assoir sur les fauteuils, près de l'arrivée des valises même si je n'ai aucun bagages en soute, j'aime bien les aéroports, c'est calme, plus ou moins mais ici personne ne me dérange, je peux avoir l'air paumé en paix, on ne me dira rien.
Je m'assois donc, ouvre mon livre, enfourche de nouveau mes lunettes. Je me plonge dans le récit et oubli l'univers qui m'entoure avant d'être interrompue par une voix fluette, ridicule et exaspérante comme beaucoup d'autres voix, ou alors c'est moi qui fait peu d'efforts pour supporter les humains qui m'entourent.
"Excuse me ?"
Je relevai la tête et aperçue une drôle de femme un peu rondelette, exemple parfait de la classe moyenne britannique.
"Do you speak english ?"
- Yes, répondis-je hésitante.
- Do you know where...
Et ensuite je n'ai pas compris, trop d'accents dans sa voix, plus celle de l'hôtesse de l'air qui l'a recouverte, en plus des éternuements du monsieur derrière moi, j'ai secoué la tête.
"Sorry."
Et cela a suffit à la faire partir, j'ai replongé dans mon récit.
Deuil de quoi, deuil de quoi ? C'est vrai que je n'ai pas précisé, ça vient, ça vient.
Je relève la tête brièvement, aperçois les rayons de soleil qui pointent à l'horizon et qui, déjà, m'éblouissent, il doit faire plus de trente degrés, je met donc mes lunettes de soleil adaptées à ma vue.
Après une heure ou deux à lire, je refermais mon livre gondolé (suite à son plongeon dans la piscine de New York, un matin, par la faute de la petite peste qui se mêle de tout et que j'ai giflé, plusieurs fois. Je ne suis pas très sociable, encore moins tolérante et appréciable ni agréable, je ne fais jamais aucun effort, j'ai au moins le mérite de le reconnaître, c'est déjà ça... Non ?)
Je regarde autour de moi, j'aperçois un garçon, mon âge voir un peu plus vieux, beau gosse, qui me fixe. Depuis combien de temps ? Je n'aurai su dire mais comme j'ai dit, je ne suis pas très sociable, je me suis contentée de lui rendre son sourire à faire défaillir n'importe quelle fille sauf que je ne suis pas n'importe quelle fille !
Ensuite je n'ai pas arrêté de me poser des questions, il faisait une chaleur de dingue, j'aurais préféré rester dans l'aéroport climatisé !
En descendant de l'Escalator, je me suis heurtée à un autre beau gosse, encore plus que le précédent. Décidément c'est ma fête aujourd'hui. Dans ce genre de situation, il y a un échange, yeux dans les yeux, chargé en romantisme, des battements de cils, des sourires charmeurs...
Pas avec moi, je n'ai pas pris soin de redresser la tête, j'ai bafouillé quelques excuses et je me suis sauvée sans même regarder à quoi il ressemblait.
"Luna ! m'a appelé ce même beau gosse."
Je me suis retournée, paumée, encore une fois !
"Regarde où tu vas la prochaine fois ! Tu m'as même pas reconnu je paris !"
Ben en fait je ne le reconnaissais toujours pas, comment pouvait-il connaître mon prénom, moi, pourtant si insignifiante ?
"Samuel, ton voisin en anglais de l'année dernière !"
Ah oui, maintenant qu'il le dit, la mémoire se perd en deux mois !
"Ça va ? me sentis-je obligée de demander."
- Ouais et toi ?
- Ça va.
- T'étais où en vacances ?
- New York, en famille d'accueil.
- Oh, c'était sympa ?
- Oui c'était sympa ! Et toi ?
- À New York aussi, avec mes parents, d'ailleurs ils m'attendent, à la prochaine !
Je hoche la tête. Il faisais bien trop chaud dehors !
Je repassais dans ma tête le regard du beau gosse inconnu, le regard dragueur, charmé, à la fois impressionné et intrigué. Que pouvait-il bien me trouver, j'avais un physique assez banal. Des cheveux bruns, lisses et longs, un visage assez pâle, des yeux brun, une poitrine pas assez présente à mon goût, je suis plutôt moyenne en taille, mince voir maigre. Je n'ai pas la carrure d'une grande sportive, je fais brindille toute fragile, paumée encore et toujours derrière ses lunettes de myope. Je suis tellement insignifiant que sur une échelle de un à dix je me place à un, je ne préfère pas démarré mon échelle à zéro pour ne pas me dire que je ne vaux rien, histoire de me bouster un peu le moral.
Pourquoi je porte une veste alors qu'il fait si chaud ? Problème de brune, je me trouve trop poilue des bras, vous les blondes vous ne pouvez pas comprendre et vous les rousses, aucune idée je n'ai jamais observé la pilosité des rousses pour la simple et bonne raison que je n'en connais pas !
Mes cheveux sont réunis en une queue de cheval mal faite, ils étaient un peu négligés, mon crayon avait sûrement coulé...
Bref, je suis allée près de la station taxi, puis vers un taxi, je ne savais pas vraiment si j'avais le droit de monter, à quatorze ans, seule dans un taxi. Il ne m'a rien dit, je n'ai rien dit. Tout était toujours étrange avec moi, j'étais dans la lune, le regard vague, absente, rien ne se passait normalement alors cela ne m'a pas plus troublé que ça d'être acceptée à bord du taxi.
Il m'a demandé mon âge j'ai répondu que j'avais de quoi payé le trajet, il m'a donc mené à destination.
Arrivée devant chez moi, j'ai passé la porte de l'appartement délabré de Montreuil, nous habitions depuis peu ici, c'était nettement moins cher !
J'ai sonné, ma mère a ouvert.
J'ai fait mon deuil de mon père. Voilà, il fallait que ça sorte, il est partit avec la télé et le canapé un jour où, moi et ma mère, étions partie toutes les deux chez mes grand parents, il y a cinq ans de cela. J'ai presque fini mon deuil, je réduis peu à peu le noir, peu à peu la psychologue, faut pas délirer, ça coûte bonbon, surtout maintenant qu'il n'y a plus qu'un salaire, et pas celui qui nous faisait vivre ! Et puis depuis quelques temps, nous nous sommes endettées, ma mère et moi et nous avons été forcées de quitter l'appartement, cet été, afin de se rapatrier vers quelque chose de plus... Sobre. Pour ne pas dire délabré. Un HLM quoi, un HLM bien pourri à Montreuil, mais j'adore Montreuil, je ne sais pas pourquoi, j'aime ses quartiers pavillonnaires, ses quartiers plus démunis, ses rues, le festival Ta Parole qui a lieu chaque année, le marché bio, pas loin. Et puis Montreuil c'est grand, c'est différent selon les rues.
Bref... Ma mère m'a serrée dans ses bras (rarissime !), j'ai raconté New York en parlant anglais parce que les langues, c'est important ! Ma mère est italienne, je parle presque italien parce que bourrer la tête de sa fille à deux ans avec une autre langue pour la réussite avant tout, c'est important ! J'ai commencé à apprendre l'allemand au collège, l'année dernière, je trouve cela stupide, je n'aime pas l'allemand mais "l'Allemagne recrute aujourd'hui" ! Rien à foutre, mais comme c'est pas moi qui choisi... De toute façon je suis pas faite pour l'école, j'ai des notes correctes mais je m'y ennuie.
Je chante plutôt bien, je crois, en tout cas les gens m'écoutent, d'habitude, moi, si transparente, quand je parle, personne ne le remarque, mais quand je chante... Là on m'écoute, on applaudit le plus souvent, on me complimente à me faire devenir aussi rouge qu'une tomate ! J'ai déjà tourné dans un film, il y a deux ans, j'ai été momentanément populaire au collège avant de sombrer de nouveau, j'y suis sûrement pour beaucoup, moi et mon manque de sociabilité, ma mère n'a pas du coché cette case à ma naissance. Je fais aussi du théâtre depuis très longtemps, mais je préfère le cinéma.
Plus tard, je serais réalisatrice, et écrivaine, j'écris beaucoup, mais certaines de mes histoires sont plus un story-board qu'un roman. Je vois dans ma tête tous les plans, le scénario défile clairement dans mon esprit, je vois la manière dont je pourrais filmer les scènes, les tournures qu'elles pourraient prendre, mais avant de devenir réalisatrice, je dois être actrice pour comprendre les acteurs, il faut que j'ai été dans leur peau, sinon jamais je ne pourrais réaliser le film, si je ne comprends pas ceux qui interprètent mes personnages. Il y a des histoires qui sont faites pour être écrites, d'autres pour être filmées mais au fond c'est très proche !
Je regagne ma chambre, ôte ma veste, à la maison il n'y a plus de complexe de brune, je peux me promener en bretelles sans aucun soucis.
Je m'allonge sur mon lit et reprends ma lecture là où je l'avais interrompue.
Pour parler un peu de moi, je ne suis pas très intéressante, pas vraiment d'amis excepté Sara qui a déménagé (donc plus Sara) ainsi que Axel (le beau Axel) mais c'est plus moi qui m'intéresse à lui qu'autre chose et Leone qui m'énerve (donc pas Leone - ok, je suis pathétique). Mais je ne traine pas trop avec eux, disons qu'ils sont des connaissances, il n'y personne de plus proche que cela dans ma vie, à part ma mère peut être, et encore...
J'ai pour habitude de m'isoler, de me tenir loin, à l'écart des gens, comme s'il m'effrayaient ou plutôt, je me suffit à moi même, c'est un peu une forme d'arrogance, je trouve. Je repousse quiconque tente de se rapprocher de moi, cela me rend très solitaire, pour moi, cela m'évite des tas de problèmes, je ne me prends pas la tête. Pour ma mère, j'aurais besoin de combler un manque d'affection, évidemment, elle ne m'en donne pas beaucoup d'affection, elle. Toujours, ma mère me répète : "travailler c'est important, l'Allemagne recrute ! Les langues, c'est important !" Je n'aime pas ma mère et ma mère ne m'aime beaucoup non plus. Tout est froid entre nous, j'ai gâché sa vie, elle qui était mannequin, elle a grossi durant sa grossesse non désirée, donc virée du monde de la superficialité incarnée, elle n'a jamais pu revenir. Ma mère est une italienne magnifique !! Elle fait jeune, très très jeune pour ses trente sept ans, mon père, est beau également (enfin d'aussi loin que je me souvienne), Kabyle, je ne l'aime pas, plus. Je n'aime pas grand monde. Peut être que j'exagère quand je dis que ma mère ne m'aime pas, ce dont je suis sûre c'est qu'elle se fera toujours passer avant moi, excepté pour le travail, mais ça, c'est surtout pour que je puisse lui payer sa retraite, et déguerpir aussi. Hors de question de payer mes études, ça, je suis déjà au courant !
Bon déjà, je suis en partie responsable de ce déménagement, mon père est en parti responsable de ce qu'il m'est arrivé et de ce pourquoi nous avons déménagé, enfin, ma mère est responsable de mon manque d'amour propre et pour le reste, on va dire que tout le monde est responsable de tout ce qui nous a mis dans cette galère.
Déjà, le voyage à New York, quand on a des soucis financiers, on évite mais non, parce que les langues c'est très important !
Voilà, je pense que j'ai à peu près résumer ma vie, pas grand chose d'intéressant, oui je suis au courant mais putain ce que ça aide d'écrire !

Juste milieuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant