Ce midi encore, il ne put s'empêcher de regarder cet anneau. Cette petite bague, qui roulait entre ses doigts. Aujourd'hui sera peut-être la bonne. Aujourd'hui, il aura peut-être enfin assez de courage ... Une voix, au fond de lui, lui soufflait que tout irait bien. Mais à chaque fois, le doute le dévorait. Et il se demandait si ce serait raisonnable. Si c'était la bonne chose à faire. Un mois qu'il était en possession de ce bout de métal, et un mois qu'il repoussait sans cesse le jour où il la lui offrirait.
Il avait travaillé dur pour pouvoir acheter cette bague. Il se disait, que lorsqu'il pourrait enfin l'avoir, il aurait assez de courage pour pouvoir la lui donner. Mais aujourd'hui encore, il n'osait pas aller lui parler. Il était faible, sans doute. Et plein d'appréhension. Il avait peur, aussi. Peur de prendre une mauvaise décision. Peur de sa réaction. Peur de ... Tout, en fait. Il avait tellement peur. Mais il savait qu'il ne pourrait pas se cacher éternellement. Non, il ne le pourrait pas. Un jour, il devrait prendre son courage à deux, mains, et ...
- Le repas est prêt !
Il bondit sur ses pieds, par réflexe, et sortit de sa chambre vers la cuisine, émerveillé par cette bonne odeur. Aujourd'hui, elle leur avait préparé son repas préféré.
En le voyant arriver dans la cuisine, elle lui sourit, de son sourire si familier, si rassurant ... la table était déjà mise, sans doute depuis longtemps. Elle posa sa marmite fumante au centre de celle-ci, retirant de ses mains expertes les maniques l'ayant aidé à porter le repas. Il s'approcha, en humant doucement le fumet du repas, ses papilles se régalant d'avance. Elle était un vrai cordon bleu.
- Ça a l'air délicieux, se réjouit-il en s'installant à sa place habituelle, la salive inondant complètement sa bouche.
Son ventre gargouillait, impatient de se remplir de son met préféré. Elle rit en l'entendant faire, et s'installa elle aussi à sa place, avec son sempiternel sourire. Elle souriait. Tout le temps, elle souriait. Et il l'admirait pour ça. Elle était probablement la femme la plus incroyable qu'il connaissait. Celle qu'il admirait le plus, aussi.
Elle tendit la main vers son plat, s'apprêtant à le servir, quand il se rendit compte qu'il avait encore la bague dans son poing fermé. Il se figea soudainement, et ouvrit la bouche, incrédule devant sa propre bêtise. Il avait oublié de ranger la bague ! Quel idiot ! Affolé, il se servit de son autre main pour tendre son assiette à sa mère, qui la remplit avec une moue intriguée. Elle n'était pas stupide, elle se doutait que quelque chose n'allait pas. Il avait été bête, si bête ... Non. Il n'avait pas été bête. Peut-être qu'au fond de lui, inconsciemment, instinctivement ... Il s'était dit que le moment était venu. Alors pour la première fois depuis un mois, il prit son courage à deux mains, et toussota légèrement.
- Maman, il ... faut que je te parle.
Elle haussa un sourcil, mais acquiesça doucement, presque méfiante.
- Je t'écoute ?
- Eh bien ... je ... J'essaie de ...
Elle secoua la tête, et l'interrompit vivement.
- Trois semaines que tu es dans un état pas possible, que tu t'agites dans tous les sens comme un lapin nerveux. Tu as quelque chose sur le cœur ? Est-ce que c'est l'école ? Est-ce que c'est Mélissa ?
- Quoi ? Non ! Et avec Mélissa, tout va très bien, merci.
C'était sa copine qui était avec lui, lorsqu'il l'avait aperçue à travers la vitrine. Elle l'avait encouragé, épaulé, guidé ... Peut-être que sans son aide, il n'aurait jamais eu le cran de faire tout ça. Il déglutit à nouveau, faisant de son mieux pour cacher sa nervosité, et soupira longuement, pour se donner du courage.
- Maman ... Est-ce que je pourrais avoir ta main, s'il te plaît ?
Elle le fixa dans les yeux, un instant, troublée. Mais elle obtempéra, et tendit sa main vers lui, paume ouverte. Alors il prit une grande inspiration, et apposa la bague au centre de celle-ci, son cœur battant à tout rompre. Et quand elle ramena sa paume vers elle, curieuse, son visage se décomposa. Il la vit pousser une exclamation de surprise, et elle plaqua sa main sur sa bouche, fébrile ... Avait-il fait le bon choix ? Il n'y avait plus de retour en arrière possible ...
Il la laissa contempler l'objet, durant de longues secondes, anxieux. Sa gorge était si serrée qu'il n'arrivait pas à articuler un mot.
- Où as-tu trouvé ça ? finit par murmurer sa mère, le regard brillant.
- Dans une brocante. Je ... Je l'ai reconnue au premier coup d'œil.
La dernière fois qu'il l'avait vue, il n'était qu'un petit enfant de six ans. Mais jamais il n'avait pu oublier cet objet, porteur de tant de souvenirs, et de tant de peine. Alors quand il l'avait revu, malgré tout ce temps, il l'avait reconnu au premier coup d'œil. Cette fois-ci, sa mère pleurait pour de bon.
- Je croyais ... Je croyais ...
- Je suis désolé maman, je voulais t'en parler, mais je n'ai pas osé ... J'avais peur que ... ça te rappelle ... Tout ça.
Elle porta enfin son regard sur lui, et il se redressa, le dos droit.
- Quand papa est mort, tu as tout sacrifié pour moi. Tu as cumulé plusieurs boulots, tu as abandonné tes études, tu as même été jusqu'à vendre beaucoup de tes affaires pour pouvoir nous éviter le pire.
Il se souvenait du jour où sa mère avait dû se résigner à vendre sa bague de fiançailles. Le dernier souvenir concret qu'il lui restait de son père, de leur relation. Elle avait dû s'en séparer, et elle ne s'en était jamais remise. Mais aujourd'hui ... Elle lui était revenue.
- Et merci maman. Merci pour tout ce que tu as fait, murmura-t-il, sentant les larmes brouiller sa vue. Mais maintenant ... je crois que tu as le droit de souffler un peu.
Elle éclata en sanglots. Comme il ne l'avait jamais vu auparavant. Sa mère souriait, toujours. Elle avait toujours souri. Un sourire face à l'adversité était à ses yeux le meilleur des boucliers. Elle ne montrait jamais ses larmes, ses faiblesses ... Mais elle avait aussi le droit de se laisser aller. Elle avait aussi le droit ... D'être elle-même.
Il ne chercha pas à retenir ses propres larmes qui roulèrent sur ses joues lorsqu'il vit sa mère se recroqueviller sur elle-même, la bague contre son cœur.
- Je t'aime, maman, chuchota-t-il d'une voix rauque, étouffée par l'étau qui lui enserrait la gorge.
À ses mots, sa mère se leva, fit le tour de la table, et ... le prit dans ses bras. Avec une telle force qu'elle aurait pu briser son corps en mille morceaux. Elle tremblait, tout contre lui, et les spasmes des sanglots manquaient d'éveiller les siens. Mais pourtant, il enroula ses bras autour de sa taille, et serra lui aussi, avec force.
- Je suis fière de toi, mon petit Paul, lui dit-elle au creux de l'oreille, d'une voix hachée par l'émotion.
Lui aussi, se laissa aller à son émotion, et il enfouit sa tête dans le creux de son épaule.
Finalement, il avait fait le bon choix.
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Âmes Trouvées
NouvellesUne longue nouvelle séparée en plusieurs chapitres, racontant la petite d'histoire de jeunes âmes esseulées et un peu perdues, qui malgré tout, ont su se trouver ...