[Le crayonné d'un dessin qui n'a aucun rapport avec le chapitre qui suit.]
Lyssandre dansait.
Il dansait sur les carreaux noirs et évitait les blancs.
À moins que cela soit l'inverse, rien n'était moins sûr.
Il se mouvait avec l'élégance de celui qui avait reçu une éducation exemplaire en la matière. Entre les lourds rideaux du couloir et son carrelage en damier, il se laissait emporter par son élan. Autour de lui, il n'y avait aucune trace de musique, seulement la mélodie hachée de son souffle et le langage libéré de son corps.
Un grand rire lui échappa.
Qu'y avait-il de si amusant ?
Lyssandre avait déjà oublié. Les informations chargeaient son corps d'une énigme grotesque et plutôt que de chercher à la comprendre, il s'en détachait. Son esprit, léger, libre, paradait plus vite que son corps à l'humeur lascive, débridée.
Il y avait des années qu'il ne s'était pas permis une telle folie, une telle liberté.
Les ombres qui se faufilaient à ses pieds ne l'attraperaient pas. Les faibles rayons de lune qui s'échappaient des rideaux en velours baignaient le couloir d'une lueur livide. Blafarde.
Qu'importait, Lyssandre n'avait plus peur, plus peur de rires aux éclats ou de pleurer tout son soûl. Il ne pleurait pas, mais il riait. Un grand rire qui lui déchirait la poitrine et qui ressemblait presque à des sanglots.
- Sire !
L'exclamation arrêta Lyssandre dans sa lancée avec une seconde de retard. Il s'immobilisa de mauvaise grâce et, sans se retourner, lança :
- Duc de Lanceny, est-ce vous ?
Le silence qui lui répondit ne fut pas suffisamment évocateur. Le ton aurait pu correspondre à celui, courroucé, de Tybalt, mais si Lyssandre avait été en pleine possession de ses moyens, il se serait rappelé que son demi-frère avait quitté Halev peu après le crépuscule.
Le roi se retourna pour découvrir, à l'angle du couloir, l'ombre démesurée de son chevalier. Il fut incapable de lui associer l'âme d'un protecteur ou celle d'un énième tourmenteur.
- Qui êtes-vous ?
Le soldat parut pris de court, comme si cette question soulevait en soi plus d'une réponse. Lyssandre n'en démordit pas et insista :
- Qui êtes-vous ?
- Sire, il est tard, vous ne devriez pas vous trouver hors de votre chambre à une pareille heure.
- J'avais envie de danser.
Comme si cela n'avait pas été suffisamment évident, le chevalier s'approcha d'un pas, d'un second, et demanda :
- Êtes-vous ivre, Majesté ?
Lyssandre laissa échapper un sourire.
Ivre ? Mais ivre de quoi ? De tristesse, de joie, de peur ? Son rire formait la quintessence de tout ceci et sa danse, la réponse à cela, un appel à l'aide.
L'ivresse des sens, il semblait l'avoir toujours connue, mais ce soir, son corps entier témoignait de cette dérive. Fusse la faute de l'alcool ingurgité après la visite de la comtesse ou non.
- Je ne sais pas.
Le chevalier considéra longuement le piètre spectacle que lui renvoyait Lyssandre. D'une beauté indécente entre les rayons nocturne, d'un charme androgyne et d'une élégance royale, il paraissait tout droit tiré d'un songe. Un songe que son humble serviteur se rappelait avoir fait. Si son audace profitait des rêves pour s'exprimer, la réalité n'en était que plus grisante.
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Longue vie au roi [BxB]
Fantasy« Longue vie au roi ! » Jamais Lyssandre n'oubliera ces clameurs. Le trône lui est promis à la mort de son père et ce cadeau empoisonné ne se refuse pas. Hanté par le souvenir des défunts et par la mémoire d'un frère auquel il a volé la place, Lyss...