J'ai 13 ans

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J'ai 13 ans, 
Aujourd'hui j'ai eu 13 ans. 
Ça ne compte pas vraiment,
Y a des âges plus impressionnants.
Mais je me sens étrange, 
Parce qu'on me dit 
Que s'ouvre une nouvelle tranche
De ma petite vie.
Je ne comprends pas.
Pas de changement.
Je suis toujours moi.
Dans un état constant.
Parfois je joue encore aux billes,
Les garçons parlent des filles,
Les filles parlent des garçons,
Je les trouve plutôt cons.
J'aime bien les yeux de Xavier,
Mais on a encore du temps pour se fixer.

Apparemment c'est la nouvelle mode
De suivre et de copier la horde, 
De se rembourrer le soutien gorge, 
Une pierre qui roule dans la gorge. 
Gaëtan a entrevu mes seins
Qu'il a transformé en dessin.
Dans la bouche un goût de fer,
Si je dois en demander à ma mère.
Ce n'est pas moi la fille aux obus,
Je ne veux pas sortir de ma mue.
La fille qui ne porte jamais de robes,
Qui n'a même pas de bijoux aux lobes,
Souvent qualifiée de garçon manqué
Parce que j'aime pas me maquiller.
Je ne comprends pas, vraiment
Ça ne prend pas, j'suis une enfant.

Forcée. 
À grandir. 
À ressentir. 
À changer. 
Par la nature, les enfants 
L'effet de groupe et le temps 
Un amour de cortège périlleux
Pour ce corps t'ai je regardé de mes nouveaux yeux

On parle de plus en plus de cette chose
Et souvent de manière très déplacée,
Mais les parents voient tout en rose,
Ils ne savent pas qu'Henry avait crié
Des trucs salaces en CE2 un lundi,
Et que tout le monde avait compris,
Alors qu'on était même pas sûrs
Pour le père Noël, c'était dur.
Depuis le CP.
Je sais.
Comment sont faits.
Les bébés.
Et aujourd'hui j'en fait des blagues,
Parce que c'est vrai c'est drôle
Et je tiens très bien ce rôle.
Mais on me dit de pas faire trop de vague,
Parce que chez une fille c'est un peu sale,
Et j'ai encore plus honte de ce que
J'ai fait toute seule dans ma salle.

Forcée. 
À grandir. 
À ressentir. 
À changer. 
Par la nature, les enfants 
L'effet de groupe et le temps 
Un amour de cortège périlleux
Pour ce corps t'ai je regardé de mes nouveaux yeux

Avant j'avais des cours de natation. 
La puberté a apposé son interdiction. 
Mon corps change et pousse sans permission. 
Ma tête risque exploser sous la pression.
Pourquoi tout change, tout change,
Les discussions le corps les amis,
Les centres d'intérêt et les envies,
Je ne sais plus alors je mange.
Je vole des soutifs et sourires à ma sœur,
Sous des souvenirs de rires qui meurent,
Et j'ai honte, j'ai honte et je me dégoûte,
Et mes parents me détestent à petites gouttes.
Ils veulent qu'on aille dans la neige ensemble,
Mais ils ne savent pas que je ressemble
De plus en plus à une femme louche,
Rien que le mot m'écorche la bouche.
Et j'ai si peur des touches sur le banc
De mon rouge sur tout ce blanc.

Forcée.
À grandir.
À ressentir.
À changer.
Par la nature, les enfants 
L'effet de groupe et le temps 
Un amour de cortège périlleux 
Pour ce corps t'ai je regardé de mes nouveaux yeux

Les garçons sont de plus en plus en feu,
Xavier ne m'a jamais regardé dans les yeux. 
Les filles ne sont pas en reste non plus,
Et traitent certaines de noms très crus
Pour avoir déjà connu l'étreinte 
Des amours adolescentes et feintes.
Les garçons reçoivent des sobriquets eux aussi,
Mais comme des coupes et trophées polis,
Et je me demande oui je me demande,
Pourquoi la vie est si compliqué à saisir
Alors que mes cours sont si faciles à lire ;
Je vois tout comme une grosse amande,
Avec plein de stries et de reliefs étranges
Qui tiennent maladroitement ensemble,
Alors que logiquement rien ne s'assemble.
Et je me demande encore et demande
Et supplie que ça n'arrive jamais et quémande,
Qu'un jour je connaisse moi aussi l'envers
De la médaille à la face en verre.


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Voilà un poème un peu moins joyeux que le précédant, eh oui.
Je voulais évoquer ce mélange d'innocence et de découvertes d'adulte qui nous anime en tant que pré-ado, avec une jeune fille acceptant mal de devoir grandir. La thématique de la sexualité s'est imposée dans le texte sans que je n'y fasse vraiment attention.
Au début les vers sont plutôt courts et simples, mais prennent plus ou moins de l'ampleur en grandissant avec le personnage. Tout comme les sujets des strophes.

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