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  « La fin de la Grande Guerre vit de grands chamboulement dans la politique continentale. La mort et la désolation était présente, aussi bien chez les vainqueurs lassés que chez les vaincus misérables, et les germes des troubles à venir se manifestèrent, seulement quatre ans après la fin du conflit lors de l'événement méconnu de l'Ultimatum de la Lettre. Des éléments disparates nous permettent de mettre en lumière le rôle de Haryl Ferduse, troisième...» 

- Histoire d'Hiria Lorenza, Tome VI Chapitre XI, Bibliothèque de Scena.



Haryl Ferduse parcourut la lettre des yeux. L'écriture était tout en finesse, indubitablement celle d'un lettré, tout le contraire des propos qu'elle transmettait. L'encre était d'une couleur brune séchée. Du sang. Celui de l'auteur, comme le voulait la tradition d'Eralaus. Sauvages.

Il reposa la lettre.

— Alors ? lança le roi depuis l'autre bout de la table.

Une ride barrait son front dégarni et la lumière du soleil jouait dans ses cheveux poivre et sel.

— C'est malheureusement ce que je craignais, votre majesté. Je vous avais mis en garde.

— Je sais, je sais. Inutile de remuer le couteau dans la plaie, grogna-t-il en faisant les cent pas J'aurai dû vous écouter il y a bien longtemps.

Cela faisait trois ans qu'Haryl écoutait les rumeurs provenant de leur voisin. Le royaume d'Eralaus – si l'on pouvait l'appeler un royaume – n'avait jamais été prospère. La Grande Guerre n'avait pas arrangé les choses, et la guerre civile qui avait englouti Coroïs peu de temps après l'avait coupé de son principal fournisseur commercial. La fureur avait grandi avec la faim , et les terres riches que le royaume d'Ilengril avait conquises des siècles plus tôt semblaient plus attrayantes que jamais.

— Qu'a préconisé le conseil ? l'interrogea Ferduse.

— Au diable le conseil ! C'est votre avis qui m'importe !

— Et sa Majesté m'en voit flattée,s'inclina-t-il. Mais j'aimerai tout de même savoir ce que d'autres vous ont préconisé.

Le roi renifla.

— À votre avis ? Ils ont conseillés d'envoyer nos troupes, Tranchlune en tête. Ces sauvages ont tué son fils lors de la Bataille des Dents et depuis, il ne rêve que de planter son épée dans le crâne de leur roi ! Mon frère l'a appuyé et les autres ont bêlé à leur suite. Des incapables, tous ! Seul Kark a conseillé de négocier mais c'est un magicien : vous savez comment ils sont...

— Votre frère ? Il haussa un sourcil. Est-ce en rapport avec les revenus de l'Orégon ?

Anarchil d'Ilengril n'avait jamais été un homme de guerre. Calme, voire indolent, son talent résidait dans les finances, ce qui avait poussé son frère à le nommer trésorier du royaume.

— En partie. Il a peur que négocier avec ces sauvages ne passe pour un acte de faiblesse auprès de mes vassaux. Ils ont beau avoir fait front avec moi durant la Grande Guerre, maintenant que le grand frisson est passé, ils aiguisent leurs couteaux ! Les Lynne... Rien que la manière dont ils me regardent me fait dresser les poils ! Ils pourraient m'arracher les entrailles à mains nues, ils le feraient !

— Je doute qu'un nouveau conflit aide à les rassembler. Ils ont envie de paix.

La Grande Guerre avait beau avoir pris fin quatre années plus tôt, le continent pansait encore ses plaies. Haryl s'en souvenait toujours aussi fraichement. Le Nid-Boisé réduit à l'état de ruines fumantes ; les cadavres en putréfaction de son grand-père et de son père pendus aux portes ; l'odeur de pourriture qui régnait...

— Ouais, et ils sont pas les seuls... maugréa le roi. Mais cette lettre... Me sort par les yeux... Vous l'avez lue Haryl, vous avez lu cette foutue lettre ! Leur roi s'adresse à moi comme au dernier des merdeux !

- Un langage cru, certes, mais il ne fallait pas en attendre plus de la part de ces sauvages. Je crois d'ailleurs me souvenir que sa majesté a toujours apprécié les paroles franches.

Le souverain le fixa un instant, avant de partir d'un grand éclat de rire... et se plia soudain en deux en crachotant. Haryl avait déjà à moitié bondi de sa chaise mais le roi l'arrêta d'un geste.

— Ça va, ça va...

Il avait sorti un mouchoir pour étouffer ses quintes. Un mouchoir écarlate.

Il tira une chaise à l'autre bout de la table, se laissa tomber, essaya le coin de sa bouche.

— Vous devriez demander à Kark de vous prodiguer des soins, tenta Haryl d'un ton doux.

— Il a déjà fait ce qu'il a pu. Sans lui, je ne serai déjà plus là. Il m'arrive de me réveiller la nuit, avec l'impression de ne plus pouvoir respirer. Comme si on m'étranglait. Mon frère a la trouille de voir mes vassaux me renverser, mais avec ou sans eux je rejoindrai bientôt le fond de ma tombe.

— Combien de temps ?

— Quelques mois.

Il grinça des dents.

— Maudite soit cette lance maléfique qui m'a percé le flanc à Coroïs. Et maudit suis-je de m'être élancé comme un con au milieu de la mêlée !

— Je suis désolé, votre majesté.

Il se tourna vers lui d'un seul coup

— Je ne vous ai pas fait quitter votre manoir pour que vous désespériez sur mon sort ! La dernière chose que je veux léguer à mes fils, c'est une guerre. Et pourtant, perdre la face contre ces sauvages... Dans sa foutue lettre, leur roi ne nous laisse qu'un mois pour céder avant de prendre ces terres par la force. Ces sauvages sont déjà dangereux pauvres, alors riches, vous imaginez ! Parlez, par les elfes ! Dîtes-moi comment vous allez nous sortir de ce merdier !

Haryl s'autorisa un mince sourire, plein de tendresse.

— Je rejoins l'avis du magicien, votre altesse. Si nous voulons sortir de cette crise de la meilleure manière possible, il nous faut négocier. Je connais bien la situation, comme vous le savez : envoyez-moi là-bas pour agir en votre nom, avec toute la liberté nécessaire. Il me faudra également une forte escorte pour m'imposer face à eux.

— Ces barbares ne vont pas apprécier. Sans vouloir vous vexer, votre famille n'a pas bonne réputation.

— Espérons que cela joue en notre faveur et pousse le roi d'Eralaus à revoir ses revendications.

— Vous croyez pouvoir le faire reculer ?

— Si j'arrive à le faire abandonner une partie de ces exigences, ce sera déjà une victoire.

— Ouais... Jusqu'à présent, vous ne m'avez pas déçu Haryl : vous aurez votre escorte.

UltimatumWhere stories live. Discover now