Partir

12 2 2
                                    

Partir. Il le faut. Prendre sa valise et prendre la route. Mais pour où ? Et quoi mettre dans la valise ? Elle ne le sait pas. Elle a pris son sac à main, ses lunettes de soleil, c'est tout. Elle s'en va. Pour où ? Pourquoi ?
Elle tourne à gauche au bout de la rue. S'arrête. Traverse quand c'est son tour. Reprend son périple. Esquive des jeunes qui s'amusent. Ignore un sans abris qui lui demande un peu de monnaie. Non, elle ne l'ignore pas. Elle ne voit tout simplement pas ce qui se trouve autour d'elle. Elle avance. Pour où ? Pourquoi ?
Elle se dirige vers la gare. Au guichet, elle demande quand part le prochain train. 10 min. Elle achète un billet et se dirige vers la librairie. Juste un livre. Pour le voyage. Ou deux. Il risque d'être long. Elle prend aussi une bouteille d'eau et un peu de friandises. On ne sait jamais.
Le train de nuit,  elle ne l'a jamais fait. Partir sans prévenir, elle ne l'a jamais fait. Mais il le fallait . Elle devait s'éloigner. Pour respirer. Pour se sentir vivante. Pour faire une pause.
Dernier appel. Son train part dans trois minutes. Elle se dépêche et grimpe dans le wagon. Elle cherche une place vide. Sans personne autour. S'installe et pose ses affaires sur le siège voisin, dans l'espoir de signifier qu'elle ne veut pas être déranger. Elle descend la tablette, dépose le sac avec ses victuailles dessus. Elle farfouille à l'intérieur, en sort une barre de chocolat. L'ouvre méticuleusement. En croque une bouchée. Elle l'avale mais la repose. Elle n'a pas faim. Elle ne veut pas manger. Elle ne veut rien. Elle veut juste être seule. Ou pas. Elle ne sait pas. Elle ne sait plus.
Elle a l'impression d'étouffer sous tout ce que l'on attend d'elle. Elle pose la tête contre la vitre. Et ferme les yeux. Le train démarre. Elle sent les vibrations dans son siège. Un léger sourire affleure. Elle sent que ce qui pesait sur son coeur s'allège.
Elle ne veut pas partir longtemps. Elle ne veut pas partir loin. Elle veut faire une pause. Elle veut prendre soin d'elle. Elle ne veut penser qu'à elle et à personne d'autre. Pour une fois. Elle veut être égoïste.
Elle ouvre les yeux et prend l'un de ses livres. Le libraire lui en a offert un troisième. Il y avait une offre d'éditeur et personne ne voulait prendre les livres proposés. Alors, il lui en a offert un. Pour bien finir sa journée.
Elle l'ouvre. Elle l'a pris sans le regarder. Juste parce qu'il était là. Maintenant qu'elle l'observe, la couverture l'intrigue. Une romance de Noël. En tout cas, c'est ce que toutes les guirlandes et le houx dessiné laissent penser. Elle lève les yeux au ciel. Se cale dans le fauteuil. Pose les pieds sur le repose pieds et ouvre l'ouvrage. Elle débute cette lecture qu'elle n'attendait pas. Elle se retrouve plongée en Finlande. Au fin fond de la Laponie, dans l'atelier du Père Noël. Les lutins sont sous pression. Noël arrive beaucoup plus vite cette année et ils sont dépassés par la charge de travail. Le Père Noël doit recruter un nouveau chef d'équipe qui pourra mettre en place une nouvelle organisation afin de sauver la situation. Mais qui prendre ? Lorsque l'annonce paraît, beaucoup croient à une plaisanterie et les candidatures affluent, toutes plus ubuesques les unes que les autres. Jusqu'à cette lettre. Celle d'une jeune femme qui lui demande de l'embaucher même si elle n'a aucune expérience dans ce domaine. Elle veut juste pouvoir être utile et essayer de se trouver. Cela touche le coeur du Père Noël. Et il l'embauche. Sans même la voir. Parce qu'elle est sur la liste des enfants sages. Bien sûr, quand elle arrive, elle ne provoque que des catastrophes. Mais elle apprend peu à peu. Elle se découvre des qualités qu'elle ne pensait pas posséder. Au fur et à mesure de ses progrès, les soucis du Père  Noël se règlent. À la veille de Noël, les lutins ont pu terminer tous les cadeaux et la jeune femme a même trouvé chaussures à son pied.
Elle referme le livre et soupire. Une romance de Noël comme elle a pu en voir des centaines à la télévision. Distrayant. Elle repose le livre sur la tablette et observe le paysage. Les lumières nocturnes des villes balaient la fenêtre. Il n'y a pas un bruit dans le wagon. Elle pianote sur la tablette. Regarde ses ongles. Elle ne sait plus depuis quand elle ne les a pas vernis. Elle a souvent voulu le faire mais n'a pas pris le temps.
Elle est si fatiguée. Elle ferme les yeux mais son cerveau ne veut pas s'arrêter, juste se mettre sur pause pendant quelques minutes. Depuis qu'elle est maman, elle a dû prendre des décisions qui n'ont pas été faciles et elle sait qu'elle devra en prendre encore d'autres. Elle a cru que c'était le bon choix mais est-ce vrai ? Elle observe son reflet dans la fenêtre et ne voit qu'une jeune femme épuisée, au bout du rouleau, sans espoir. Elle pensait avoir la force en elle de passer outre, de pouvoir s'en sortir. Mais elle a besoin d'une pause. Elle a besoin de ne penser à rien. Elle veut juste dormir.
Elle pose la tête sur le dossier du siège et ferme les yeux. Elle soupire et essaie de faire le vide dans sa tête. Son téléphone vibre dans sa poche. Elle le sort et l'observe. Son amoureux. Elle ne peut pas lui répondre. Que lui dirait-elle ? Qu'elle l'aime mais qu'elle n'en peut plus ? Qu'elle l'aime plus que tout lui et leur bébé mais qu'elle veut juste penser un peu à elle ? Elle ne peut s'y résoudre alors elle remet le téléphone dans sa poche. Elle lui a laissé un mot, plutôt laconique mais cela devra faire l'affaire. Elle remet la tête sur le repose-tête et ferme les yeux.
Quand elle les ouvre le train est arrêté. Il est parvenu à son terminus. Elle a dormit. Durant 5 heures. Sans se réveiller. Un sourire étire ses rêves. Elle récupère ses affaires et se dirige vers la porte du train. Le sac sur l'épaule, elle sort dans le soleil du petit matin. Elle plisse les yeux. Elle ne sait pas où elle se trouve. Mais cela n'a pas d'importance. Elle prendra le premier train la ramenant là d'où elle vient. Après avoir pris son billet, elle passe les deux heures suivantes au café de la gare à lire. Elle l'a quand même appelé pour lui dire que tout va bien. Qu'elle rentrera bientôt. Il le sait. Il sait qu'elle va lui revenir. Juste le temps du trajet à attendre. Et il sera là. Ils seront là tous les deux. À la gare, comme dans les films. Quand l'heure vient, elle grimpe dans le train, s'installe à une place libre, près de la fenêtre et fait un mur de ses affaires pour dissuader toute tentative pour s'asseoir à côté d'elle. Elle ne supportera pas la présence d'un étranger à ses côtés. Elle regarde à nouveau par la fenêtre et voit pour la première fois cette ville dans laquelle elle est arrivée quelques heures auparavant. Il n'y a que des usines autour de la gare. Pas même un arbre. Elle ne sait pas où elle a atterri mais elle est bien contente de repartir. Les nuages noirs au dessus du train ne la laisse pas de marbre. Elle s'enfonce un peu plus dans son siège avec l'espoir qu'ils ne la voient pas. Comme si ces nuages avaient le pouvoir de l'attaquer directement. Elle décide d'observer le train pour chasser ses sombres pensées et aperçoit une famille avec enfants. Elle sourit. Elle a hâte de retrouver son petit bout de chou qui lui manque atrocement.
Cette pause lui a fait du bien. Elle s'en rend compte. Elle sait qu'elle en aura encore besoin mais elle est plus sereine que la veille même si les choses ne sont pas réglées. Lorsque le train démarre, elle appelle son médecin pour avoir un rendez-vous le lendemain. Il lui faut de l'aide. Elle ne peut pas fuire ainsi chaque fois qu'elle se sentira mal. Elle ne peut pas lui faire cela. Ils sont ensemble depuis tellement longtemps. Il la connaît si bien. Il lui manque dès qu'il passe la porte. Elle ne pourrait vivre sans lui. Maintenant qu'elle a les idées plus claires, le trajet du retour commence par lui paraître long mais elle finit par s'endormir, à nouveau. Lorsqu'elle ouvre les yeux, ils sont là. Tous les deux. Ils l'attendent. Elle ressent une telle bouffée d'amour pour eux qu'elle ne sait pas comment elle fait pour tenir encore debout. Elle est étourdie par ce qu'elle ressent. Elle prend ses affaires sur le siège à côté d'elle, s'engage dans le flot de voyageurs qui souhaitent quitter le wagon, suit la file, descend les marches et court pour les rejoindre. Elle lui saute dans les bras. Mains dans la mains, ils rentrent à la maison, poussant à deux la poussette. Elle sait maintenant que quoi qu'il se passe, ils avanceront main dans la main coûte que coûte.

PartirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant