Une tâche de sang.
Gabriel ignorait comment elle s'était retrouvée là, sur le parking du supermarché. Quelques minutes auparavant, il avait pensé qu'il ne s'agissait là que d'une vulgaire tâche de peinture, tant le vermeil attirait ostensiblement le regard. Peut-être y avait-il eu un règlement de compte ou peut-être qu'un client assoiffé s'était blessé en tentant d'ouvrir une canette de soda ?
L'attention de Gabriel se retrouvait happée par cette tâche de sang. Il ne pouvait détourner le regard de cette immondice qui avilissait à elle seule toute l'atmosphère du lieu. Sans qu'il sût pourquoi, elle lui renvoyait d'horribles sensations, de terribles souvenirs ; au point qu'il sentait sporadiquement sa cage thoracique se rétrécir, voire se ratatiner, compressée par des émotions si négatives et, néanmoins, si insaisissables.
Soudain, une main lui agrippa l'épaule.
– Hé, Gab' ! Regarde ce que j'ai trouvé !
C'était Joël. Il affichait un de ses sourires espiègles et triomphants qui témoignaient de sa certitude d'avoir eu l'idée du siècle. Ses bras étaient chargés de produits alimentaires en tout genre, du plus essentiel au plus superflu, et avaient un mal de tous les diables à tenir en équilibre les deux douzaines d'articles qu'il avait arrachées au magasin.
– Je vois rien de spécial... avoua Gabriel, sans toutefois avoir vraiment regardé.
Joël poussa un long soupir, visiblement très exaspéré que son ami ne partageât pas avec lui sa passion des sachets de nouilles lyophilisées et du lait concentré en tube.
– Si je t'avais écouté, on serait parti avec une demie-baguette de pain et un morceau de fromage pour tout le séjour, alors excuse-moi, mais je compte pas mourir de faim, moi !
Comme son ami soupirait, visiblement peu convaincu, Joël lui tourna le dos et se hâta de charger les courses dans la voiture. Il extirpa du coffre deux grands sacs à dos de randonnée et entreprit consciencieusement d'y ranger la nourriture.
Attiré par la lueur encore timide du lever du jour, Gabriel se désintéressa soudainement de son compagnon de voyage pour ne rien rater des brasillements fugaces de l'aurore. A la beauté évidente de l'événement, il fallait ajouter son caractère réconfortant, car les deux amis s'étaient levés trois heures avant l'aube, à l'heure où l'imperméabilité de la nuit voilait l'horizon. Alors, il était bon de découvrir enfin, et sous leur meilleur jour, les fameux monts du Velay.
Lorsque Gabriel voulut retourner à la voiture, une vision d'horreur le frappa.
– Arrête ! Qu'est-ce que tu fais, enfin ?
Joël, trop occupé à extirper un à un les affaires du sac à dos de son ami, ne répondit pas. Jugeant sans doute que cela lui prenait trop de temps, il éventra la poche intérieure à l'aide de la fermeture éclair et laissa son contenu se déverser sur la plage arrière. Evidemment, Gabriel se rua vers une des portières pour te ramasser, mais Joël le stoppa fermement du plat de la main.
– Deux minutes, tu veux bien ? Je vais te poser une question et je t'avoue que je suis très impatient d'en connaître la réponse. Alors, voilà : comment tu comptais tenir 267 kilomètres avec le poids d'un semi-remorque sur le dos ?
– Qu'est-ce que tu racontes ? Tu délires ou quoi ?
– Pour une fois, non.
– Alors explique-toi parce que je comprends vraiment rien à ton sketch.
De toute évidence usé à ce genre de démonstration éloquente, Joël feignit de s'emparer au hasard d'un des objets qui gisaient au sol.
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L'Hirondelle de Sang
AdventureGabriel et Joël sont deux étudiants et amis de longue date. Au terme de leur année universitaire, Joël entraîne Gabriel dans une randonnée à travers l'Auvergne. Malheureusement, aux balbutiements de leur aventure survient un événement tragique et at...