Chapitre 1

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Je reste bloqué devant ma page de traitement de texte. Neutre. Entièrement et complètement blanche. Mis à part le curseur qui, impatiemment, alterne les apparitions et les disparitions. Dans la continuelle attente de quelque chose. D'un mot. D'une phrase. D'une histoire. Je me mords les lèvres, passe une main dans mes cheveux gras. Après une nuit entière à agresser avec une fougue nourrie d'inspiration les touches noires du clavier de mon ordinateur, je n'ai plus rien. Plus aucune merveilleuse et miraculeuse idée qui surgit dans mon esprit. Cette nouvelle page semble avoir signé le début de mon syndrome de la page blanche. Mon histoire en suspens je décide d'aller prendre une douche.

Je laisse l'eau chaude couler sur mon corps sillonné de cicatrices et de bleus. La chaleur de l'eau agresse ma peau. Je ne m'éternise pas sous la douche. Devant le reflet que me renvoie le vieux miroir de cette minuscule salle d'eau, je tente en vain de maitriser mes cheveux bruns beaucoup trop touffus. Quand je sors de la salle d'eau, je jette un bref regard à l'écran de mon ordinateur : le même curseur s'impatiente. Je m'habille rapidement, éteins mon PC, m'empare de mes clefs, de mon téléphone et sors. Une nouvelle journée éphémère s'ajoute aux journées éphémères qui me rapprochent de ce jour si angoissant...

La capitale française est éclaircie par le soleil qui se lève à l'horizon. Malgré ce beau temps, j'ai d'imperceptibles frissons sous ma veste en cuir. J'accélère le pas vers le petit café de ma rue. J'arrive devant la vieille porte à la peinture turquoise qui s'efface. La vitre salie par le temps donne une brève idée de ce qui nous attend à l'intérieur. Le panonceau « fermé » est retourné. Comme tous les matins depuis 2 ans, c'est moi qui fais l'ouverture. Quand je pénètre dans le petit café, une odeur de boisson chaude et de caramel s'imprègne dans mes narines. J'allume les lumières, ouvre les volets brunâtres puis dresse les tables. Je donne un rapide coup de balai. Enfin, j'allume les machines à café. Le propriétaire arrive peu avant midi. Les serveurs, de leur visage toujours souriant, commencent les nombreux services qui rythment la journée. Moi, je m'occupe du bar. Je prépare les commandes et, parfois, lorsqu'aucun regard curieux n'est posé sur moi, je flirte avec les jeunes femmes célibataires en peine d'amour. Les après-midi à Paris sont toujours très mouvementés, même le jeudi. Entre les vieux qui prennent du bon temps, les lycéens ou étudiants qui finissent plus tôt et les rencards maladroits qui ne donnent jamais rien, on a de quoi faire. Je termine le travail à 16 h. Et c'est à ce moment précis que commence ma journée ; quand je retire cet horrible T-shirt vert inscrit du nom du café, quand je passe la porte de ce bruyant endroit et qu'enfin je respire l'air pollué et froid de la capitale. Je retourne hâtivement à l'ancien appartement de mes parents. Je me déleste de mes clefs, de ma veste et de mon téléphone. Sur mon lit défait, mon ordinateur en charge m'attend.

Je passe la fin d'après-midi à écrire. Mais ces heures sont vaines. J'efface tout, insatisfait. Frustré, je décide de sortir. La nuit est déjà tombée. Mais les bruits des voitures font toujours vibrer la ville. Il fait plus froid encore que ce matin. D'un pas rapide, je me dirige vers l'un des nombreux bars dans lesquels je noie mes tourments.

La musique hurle. De jeunes femmes presque nues dansent tandis que des hommes les observent avec envie. Leur perversité est traduite par des regards insistants sur les courbes généreuses des danseuses. J'admets que ce n'est pas déplaisant à regarder. Mais j'évite le désir accroitre en moi. Je détourne le regard. La masse agitée de personnes figées dans cette réalité malsaine m'obstrue le passage jusqu'au bar. Là où enfin, la vie n'a plus aucun sens. Je parviens avec difficulté au bar, non s'en avoir bousculé quelques ivres inconnus et avoir reçu d'involontaires coups au visage. De ma voix gutturale, je crie au serveur par-dessus la musique :

« Deux shots de vodka ! »

Il hoche la tête. Rapidement, les deux shots se tiennent devant moi. Dès l'instant que l'alcool entre dans mon organisme, mon excitation se fait plus vive. Après plusieurs shots, la réalité est altérée. Ivre, je me déhanche grossièrement entre deux jeunes femmes que je ne connais pas. Je découvre leurs corps de mes mains. Tout le monde danse autour de moi. Il n'y a plus d'existence. Plus d'angoisses. Plus cette putain de maladie... Il n'y a que l'alcool dans le sang. Que la musique qui agresse les tympans. Plus que mes mains je ne sais où... Il n'y plus rien d'autre que cet amas confus d'êtres humains perdus entre leurs angoisses et leurs insécurités. Menant cette constante guerre contre eux-mêmes. Il n'y a même plus de libre arbitre dans ce désordre.

Au milieu de cette nuit alcoolisée, j'emmène une femme dont je ne connais même pas le prénom à mon appart'. On court dans les rues de Paris, entrainés par de fortes émotions. Tout est tellement plus intense. Je passe la nuit au milieu d'allés et venus déplaisants, mais libérateurs. Pendant de longues et puissantes minutes, je n'ai plus ce poids sur le cœur. Lourd et douloureux qui persiste. Il disparait un instant, alors que je tente d'exaucer mon désir.

J'ouvre les yeux, je suis nu dans mon lit. Les rayons du soleil traversent les draps troués qui font office de rideaux. Un mal de tête m'assaille. Je tourne la tête : elle est partie. Soulagé de l'absence de cette femme, je me lève avec grande difficulté. Je suis en retard.

Je passe la journée essayant tant bien que mal de ne pas penser à l'atroce douleur qui martèle mon crâne. Dans les toilettes du café, je croise mon reflet. Des cernes violacés et un teint blafard ont remplacé mes yeux lumineux et ma peau mate d'habitude.

La journée touche lentement à sa fin. De retour chez moi, je tombe de fatigue sur mon lit grinçant.


Crève-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant