| Prologue |

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        Un bruit sourd et métallique résonna dans la pièce, venant troubler le calme soudain de l'appartement. Lui était là, tremblant, réalisant à peine son acte. Apollonio Giorgi. Lui, ce jeune homme pourtant si irréprochable, avait réalisé l'impardonnable. Là, pataugeant dans le sang de son présumé ami, incapable de réagir, le jeune italien contemplait avec effroi le meurtre qu'il venait de commettre.

Il ne pouvait se résoudre à y croire. Pris de vertiges, les pensées de la violente soirée qu'il venait de passer se chamboulaient dans son esprit maintenant tourmenté. Les images de son ami Carlo lui hurlant d'insoutenables insultes troublaient sa vision. Il revit alors cette main se lever sur lui, vouée à ne jamais atteindre sa cible, puisque le corps de l'orgueilleux jeune homme s'était effondré pathétiquement sur le sol, son visage grimaçant implorant le pardon. Mais il était trop tard. À présent, Apollonio ne pouvait que constater son malencontreux geste.

Il avait lâché son arme, incapable de tenir debout. Titubant, il rejoignit le sofa sur lequel son ami se prélassait souvent. Ses yeux étaient couverts d'une intense brume blanchâtre, quoiqu'il fut incapable de savoir si sa soudaine cécité était due à ses larmes ou à sa perte de connaissance du réel.

Un rire nerveux parcouru sa gorge. Tout ceci n'était malheureusement pas un mauvais songe, mais bel et bien une triste réalité. Qu'allait-il faire à présent ?
Il ne pouvait recourir à la légitime défense, elle ne l'était pas. Il était un meurtrier, simplement. Désespéré, il jeta un œil à la fine lame ensanglantée au sol. Durant un instant, il songea à mettre fin à ses jours. Après tout, sa vie était ruinée. Mais son impulsivité avait déjà agi ce soir-là, et il se refusa à commettre une deuxième erreur.

Lentement, il sortit de son siège de luxueux velours pour ramasser l'arme hideuse, salie par un manque d'honneur certain. Dans sa folie grandissante, il vérifia une dernière fois le pouls du cadavre du malheureux, espérant trouver une once de vie tentant de résister, mais en vain. Carlo était bien mort. Alors, Apollonio s'adonna à une scène qu'il pensait réservée à ces fameux feuilletons policiers.

À l'aide d'un torchon de cuisine, il essuya consciencieusement l'arme qu'il glissa de nouveau dans sa poche. Puis, il vérifia la scène de crime. Ses traces de pas seraient visibles. Alors, il lui vint une idée. Par chance pour le garçon, son ami portait la même pointure que lui. Sans laisser d'empreintes, il intervertit délicatement ses chaussures avec celles de sa victime, les essuyant soigneusement pour ôter tout soupçon. Cette notion de survie et de fuite étant si présente chez lui à ce moment précis, le jeune homme en oublia un instant ses remords. 

Alors, refermant doucement la porte du funeste appartement, Apollonio disparut dans la pénombre des sombres ruelles de Rome. Il ne savait plus où aller à présent. Il savait que même avec ses précautions, les autorités finiraient par le retrouver. Le jeune homme n'était plus lui-même, et il espérait se réveiller subitement à un certain moment. Mais son tourment était bien réel, et il y était impuissant. 

La ruelle dans laquelle il se situait était une des plus exiguës de la ville, et une odeur pestilentielle émanait des poubelles débordantes. De plus, la forte chaleur du mois de mars italien n'arrangeait rien à la situation. Ce soir là, Apollonio tenta de dormir dans la rue, caché entre deux bennes à ordures. Mais rongé par ses remords et sa conscience le frappant incessamment, il ne parvînt pas à fermer un œil de la nuit. 

Dès l'aube, il se leva, le visage meurtri par ses cernes et ses yeux rougis. Son ventre était horriblement serré et une terrible nausée accompagnait ce sentiment déjà fortement désagréable. Ses jambes, plus faibles que celle d'une poupée de chiffon, supportait sa mince carrure avec une difficulté inconcevable, si bien qu'il manqua de tomber une fois ou deux. Apollonio avait l'habitude de vivre dans le grand confort, et ce depuis sa tendre enfance. C'était bien la première fois qu'il se trouvait dans un tel état, aussi bien physique que psychologique.

Son mental était au plus bas, il était totalement perdu, aussi bien dans les confins de son esprit que dans les innombrables ruelles de la capitale. Arpentant les chemins pavés, le garçon était de plus en plus envahi par un sentiment de panique, s'intensifiant à chacun de ses nouveaux pas. Dans le calme presque effrayant qui régnait à cette heure ci, un léger grondement se fit entendre. Malgré son mal-être matinal si accommodant, à l'image de celui d'une femme portant la vie, Apollonio semblait avoir faim. Il était même plus précisément affamé, il n'avait rien avalé depuis son déjeuner de la veille.

Il n'avait pas d'autre choix que de rentrer chez lui, et de se servir une collation. Après tout, il ne pouvait pas fuir éternellement, qui plus est sans aucune préparation. Penaud, il rassembla ses quelques forces restantes pour rejoindre son spacieux studio. Il n'était pas situé très loin de l'appartement de Carlo, et même s'il mettrait un certain temps pour se repérer par rapport aux grandes rues, le chemin pour y aller n'était pas une épreuve insurmontable.

Sur sa route, Apollonio repensa à son passé aux côtés de son défunt ami. Les deux se connaissaient depuis leurs huit ans, et étaient inséparables, peu importe l'activité qu'ils pratiquaient. Chaque soir après l'école, Carlo rentrait chez son ami, afin de partager leur goûter tout en se divertissant. Les parents d'Apollonio ne voyaient pas vraiment cela d'un bon œil, ils trouvaient que le jeune enfant savait déjà étrangement bien profiter de l'hospitalité de personnes agréables, ce qui était étonnant pour son jeune âge. Mais leur fils était heureux, et c'est ce qui les importaient.

Mais récemment, leur amitié s'était fortement dégradée. Carlo avait sombré dans un cercle de connaissances peu recommandables, et avait rejeté la faute de ses échecs sur le dos de son compère d'enfance. Évidemment, ce dernier n'avait pas supporté cette accusation, tout comme il commençait à avoir assez des sauts d'humeur de son camarade. La veille, au soir, les deux s'étaient donnés rendez-vous à la demande d'Apollonio, qui souhaitait s'expliquer sur ce changement de comportement qui l'inquiétait de plus en plus.
Mais le courroux de Carlo était bien plus tonitruant que son ami n'aurait pu oser l'imaginer, et il avait été jusqu'à lever sa main sur lui. La suite fût bien funeste, et maintenant, Apollonio regrettait d'avoir voulu guider son ami, le menant plutôt à sa perte.

Après quelques minutes de marche, le souffle coupé, le jeune garçon était arrivé dans son quartier. Il était épuisé, et l'impression constante que le monde allait s'effondrer autour de lui ne l'aidait pas à retrouver sa marche habituelle. Soulagé de pouvoir subvenir à ses besoins sous peu, il s'arrêta net en voyant l'agitation qui avait pris place autour de chez lui. Des dizaines de personnes s'étaient accumulées dans un brouhaha infâme. Il s'approcha légèrement pour jeter un œil curieux, dans l'espoir de découvrir ce qui était à l'origine du chaos qui régnait. Devant son domicile étaient garées cinq voitures de police, et plusieurs agents tentaient en vain de faire reculer la foule grandissante.

Le sang du garçon ne fit qu'un tour. Ils ne pouvaient pas être là pour cette raison, ils ne pouvaient pas déjà avoir découvert. Pour paraître le plus discret possible, il plongea la main dans la poche de sa veste afin de sortir son porte-monnaie, pour s'acheter à manger par la même occasion, dans l'espoir de ne pas croiser un voisin ou une connaissance. Mais c'est avec effroi qu'il constata que sa poche était vide. Il avait perdu son argent, ainsi que ses papiers d'identité. Ainsi, il en déduit la terrible réalité. Lui qui avait tenté tant bien que mal de camoufler son erreur, il avait échoué de la manière la plus idiote, en perdant ses pièces officielles sur le lieu du crime. Lui qui ne pensait pas pouvoir tomber plus bas, le pire scénario possible s'était à présent arrêté sur lui.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 04, 2020 ⏰

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