— L'ennemi est là !
À mesure que son sang se glace, Lyssandre sent ses muscles se rigidifier et ses os se figer entre l'amoncellement de chairs et de sang. Son enveloppe charnelle, qu'il savait incapable de résister à l'exigence d'une telle situation, cessa de lui appartenir. Consumé par la terreur, la vraie, celle qui le pliait en deux sous son joug, il ne fut pour lui-même qu'un corps étranger.
Cette peur, elle était identique à celle d'Halev. Un effroi exigeant, qui ravirait la raison jusqu'à faire de lui un être dicté par les plus bas instincts. Il sut qu'il n'y avait pas pire réveil que celui qui semblait être le dernier.
Sur la toile de la tente, la lumière chaude des torches se dessinait et, avec elle, des ombres mouvantes. Des serpents à apparence humaine qui rampaient contre le refuge du roi. S'agissait-il d'ennemis ou d'alliés ? Soudain, un de ces spectres disproportionnés, étirés à l'infini par le reflet de leur véritable corps, s'approcha. Son ombre grandit, elle s'assombrit au point où Lyssandre reconnut avec précision son profil et, surtout, la lame menaçante qui formait la continuité de son bras. Ce monstre-là paraissait sortir tout droit d'un cauchemar ou de l'un de ces récits oubliés.
Le dos moite de sueur, Lyssandre recula dans son lit. Ses jambes s'empêtraient dans les draps et rien à proximité ne lui permettrait de riposter. Sans savoir si cet inconnu, si cette ombre sans visage, obéissait à ses ordres ou à ceux d'Äzmelan, il y associa seulement sa capacité à détruire, à le tuer. Un soldat était forcément un danger pour quelqu'un. Qu'il menace une vie ou une autre, cela répondait à des logiques politiques, et son essence même n'en était pas amoindrie. C'était là toute la cruauté de la guerre.
De toutes les guerres.
L'ombre fut saisie par une seconde, plus vive, plus mortelle, et le spectre ne se désagrégea pas au contact de la lame. Elle ne vola pas en éclats non plus. À défaut de se répandre en lambeaux d'une substance indescriptible, l'ombre se figea avant de s'écrouler. Son essence, bien solide en dépit des apparences, se confondit dans un liquide que Lyssandre devina sans peine.
Le charme se rompit. Le corps du soldat s'effondra contre la toile, ébranla l'entièreté de la tente et arracha un sursaut au roi. Une large tâche vermeille se déployait, imbibait le tissu, se distinguait dans la nuit qui ne connaissait que les ombres.
Au cœur de celles-ci, la seule nuance qui connaissait une valeur honnête était ce rouge sombre.
Sans que Lyssandre n'ait eu le temps de la voir approcher, une silhouette écarta les deux pans qui délimitait l'entrée de la porte. Sans se répandre en politesse, le général Artell ordonna :
— Sire ! Le campement est attaqué, vous devez fuir immédiatement ! Suivez-moi !
Lyssandre parvint à se mettre debout. Il renonça à l'idée d'enfiler quelque chose de moins délicat qu'une chemise de nuit. Il rejoignit le soldat et découvrit, entre son corps qui formait un dernier rempart au chaos, une scène digne d'une fin du monde.
Dehors, les soldats de Déalym déferlaient. Un bon nombre d'entre eux, en quantité que la situation ne permettait pas d'évaluer, était déjà en prise avec leurs ennemis. Les lames s'entrechoquaient dans une plainte sourde et ce son se mêlait aux cris, aux injures, aux râles d'agonie. Lyssandre réalisa qu'à certains égards, Halev avait connu un épisode comparable à celui-ci. Un épisode de guerre.
D'autres hommes, aux visages jusqu'au-dessus du nez, continuaient de tomber sur Arkal. Ils tenaient des flambeaux, des lames, de quoi détruire les positions que l'ennemi tenait depuis de longs mois. La majorité du campement était déjà atteinte par leur avancée et ils le traversaient sans se heurter à la moindre riposte. Ou presque, car les soldats de Loajess s'activaient déjà, pris de court par cette offensive nocturne, mais prêts à prendre les armes. Nombre d'entre eux combattaient sans avoir pris la peine de se vêtir, l'un ou l'autre fuyaient, à peine conscients des conséquences de leur couardise.
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Longue vie au roi [BxB]
Фэнтези« Longue vie au roi ! » Jamais Lyssandre n'oubliera ces clameurs. Le trône lui est promis à la mort de son père et ce cadeau empoisonné ne se refuse pas. Hanté par le souvenir des défunts et par la mémoire d'un frère auquel il a volé la place, Lyss...