Chiara teste l'eau du bout de ses orteils, grimace, et finit par s'immerger complètement. De l'autre côté, Arsène l'observe, déjà installé. Il a la décence de ne pas reluquer son maillot de bain, qu'elle a emprunté à Coline et qui ne cache pas grand chose. Elles ne font, à vrai dire, pas la même taille de bonnet et ce qui va à ravir à son amie, ne fait que paraître ridicule sur la jeune fille.
Elle s'enfonce dans le jacuzzi sans réfléchir, de l'eau jusqu'au menton. Elle espère que les bulles sont suffisantes pour la cacher. Chiara n'a jamais particulièrement aimé se donner en spectacle, encore moins dévoiler son corps. Elle est beaucoup trop pudique pour ça, n'a pas suffisamment confiance en elle, non plus. Elle se rappelle de son enfance, de sa croissant précoce, de sa poitrine gonflant soudainement et des moqueries de ses camarades. C'est à cause de ça qu'elle ne porte plus que des hauts amples.
Elle plonge la tête dans l'eau, savoure la chaleur, avant d'en ressortir. Ses cheveux blonds vénitiens se collent contre sa peau, sa frange lui masque les yeux. Elle ne voit plus que vaguement, entre les mèches, et ne s'en plaint pas.
Pour la millième fois, elle se demande ce qu'elle peut bien faire ici. Dans ce chalet, dans le jacuzzi. Avec Arsène, qui ne s'est pas rapproché, n'a pas ouvert la bouche.
– Pourquoi tu t'appelles Arsène ?
Passé le premier instant de surprise, il éclate de rire.
– C'est avec Arsène Lupin que ma mère a commencé à vraiment apprendre le français. Elle a promis qu'elle appellerait son premier fils comme ça. Et me voilà.
– T'as des frères et sœurs ?
– Deux grandes sœurs, ouais, et-
– Elle vient d'où ta mère, d'ailleurs ?
– Du Maroc, mais-
– Oh, c'est cool ! T'y vas parfois ?
– Non, jamais. Elle ne voit plus vraiment sa famille.
– Et la famille de ton père ?
– Ça va.
– C'est de lui que tu tiens tes yeux ?
– Dans le mille.
Même elle ne peut pas le nier, il a de beaux yeux, tellement bleus, tellement pâles. Sous certaines lumières, ils semblent même presque translucide. Elle sait que toutes les filles se damneraient pour ses beaux yeux. Pas elle. Elle, elle a surtout peur qu'il tente quelque chose. Le repousser ne la dérange pas particulièrement, elle ne veut juste pas lui faire de peine. Surtout maintenant qu'elle le considère presque comme un ami.
– Chiara, ça va ?
– Oui, oui.
Elle tend les bras, fait clapoter l'eau. Il l'imite, en profite pour l'asperger ; évidemment, elle ne peut pas laisser la provocation impunie.
Leur bataille est aussi fugace qu'haletante, les laissant tous les deux essoufflés et morts de rire. Chiara en vient même à se tenir le ventre, les larmes aux yeux. Elle se penche tellement en avant qu'elle manque aussi boire la tasse. Ce qui ne l'aide vraiment pas à se calmer, et Arsène non plus, dont l'hilarité ne fait que croître.
Sauf qu'il s'arrête soudainement, les sourcils froncés. Chiara le voit tendre le bras derrière, tâtonner un instant jusqu'à attraper une tong ; et sans plus attendre, il la lance vers le chalet.
– Qu'est-ce que tu-
– Mathias, sérieux, casse-toi.
– Quoiiiii, j'ai même pas le droit de mater ?
L'interpelé s'extirpe de derrière un buisson et Chiara grimace, dégoûtée. Une grimace qui ne fait que s'accentuer quand elle aperçoit le téléphone, dans la main de l'adolescent. Un téléphone braqué sur les deux jeunes dans le jacuzzi.
– Si tu te casses pas, je sors d'ici pour te péter la gueule.
– Oh oui, sors et pète-moi la gueule.
Son regard est lubrique, descend le long du visage de la fille, pour lorgner sa poitrine toujours cachée dans l'eau. Soudainement, elle aimerait disparaître.
– Mathias ? reprend Arsène. Tire-toi. Vraiment. S'il te plaît.
– Roh, mais tu me raconteras ?
– Si tu veux.
– Cool.
– Casse-toi maintenant.
Il mate encore un peu, avant de tourner les talons. Ce n'est qu'au moment où il disparaît que Chiara se rend compte qu'elle tremble. Elle se frotte inconsciemment les bras, les larmes aux yeux. Elle se sent sale, elle maudit son corps, sa condition de femme. Elle a envie de le poursuivre pour le tabasser, comme prévu, mais est prise de nausée à la simple idée qu'il puisse la voir comme ça. A moitié nue.
Elle se sent acculée, au pied du mur, dans une impasse.
– Hé, Chiara, ça va ? J'suis désolé, c'est vraiment un connard.
– C'est pas ta faute putain.
Elle s'énerve, sans pouvoir se contrôler. Elle s'énerve contre lui, même si c'est injuste, parce qu'elle ne peut pas s'énerver contre Mathias. Enfin, si, elle peut, si seulement il en avait quelque chose à faire. Elle veut que ses mots aient un impact et elle sait que c'est peine perdue avec lui. Au moins Arsène semble plus sensible, plus prompte à être touché par sa colère.
Quand elle tourne la tête pour affronter son regard, il a effectivement l'air blessé. Mais au lieu de se sentir mieux, elle ne fait que culpabiliser.
– Désolée, je...
– T'inquiète, t'as le droit, je comprends... enfin non, je peux pas vraiment comprendre parce que j'ai jamais vécu ça, mais... tu vois ?
– Oui, je vois.
La maladresse du jeune homme la ferait presque rire. Presque. Si elle n'avait pas à ce point envie de pleurer.
– Je sais même pas pourquoi ce gars est mon ami.
– C'est pas ton meilleur ami ?
– Si. Enfin, avant. Au collège et au début du lycée, oui, mais depuis la terminale... Il a vachement changé. Il était pas comme ça avant.
– J'm'en fous de comment il était avant.
– C'est vrai, pardon.
Prenant enfin conscience de ses gestes, Chiara cesse de se gratter ; à la place, elle coince ses mains entre ses cuisses. Tout ça ne va pas améliorer son eczéma. Elle a l'impression que son corps tout entier la démange.
– Ça va aller, Chiara ?
– Oui oui, t'inquiète pas. Ça fait pas sept minutes, là ?
– Mon téléphone a pas sonné...
Il ne semble pas particulièrement mécontent ; et Chiara envisage d'envoyer balader ce défi pour aller se coucher. Enfin, après une bonne douche. Voire plusieurs. Pour nettoyer sa peau des regards de Mathias. Elle se doute que Coline attend dans la salle à manger, probablement toujours en train de se saouler. C'est probable qu'elle ne la voit même pas rentrer ou qu'elle ne se rende pas compte que le temps n'est pas écoulé.
Oui, elle peut partir. Elle en a le droit.
Chiara a pris sa décision, déterminée, quand, brusquement, Arsène se décale sur le banc pour se rapprocher.
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5 feet
General FictionC'est une douce soirée au chalet, la montagne en fond, la musique dans les enceintes, le ciel étoilé et des confidences sous le clair de lune.