Chapitre 24 (2)

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Athénaïs se repassa en revue : coiffure, OK. Mascara, OK. Rouge à lèvres bien rouge, OK. Ce soir, elle serait la plus belle pour aller manger. Hary l'emmenait dans un restaurant chic du VIIIème arrondissement. Elle avait hésité à jouer la carte de la robe rouge mais s'était finalement limitée à une couleur moutarde qui aurait au moins le mérite de réchauffer les couleurs ternes de cet hiver qui s'éternisait. Et puis, ce n'était qu'un rendez-vous, ils n'étaient pas ensemble. Même si, d'accord, on était un jeudi 13 février : ce n'était pas la Saint Valentin, mais presque. (Elle soupçonnait un zeste de superstition chez Hary.) Comme en musique, elle devait en garder sous la pédale, afin de réaliser un crescendo lent mais intense dans l'intérêt mutuel qu'ils se portaient. Elle s'habilla de son long trench coat et ajusta son béret, dans la glace. Du temps de Thibault, elle s'était précipitée et s'était brûlée ; elle ne réitérerait pas la même erreur. Pas avec Hary.

Quand son portable lui signala que son Prince Charmant l'attendait au pied de son immeuble, comme avant chaque moment qu'elle passait avec lui, elle prit un temps pour respirer et se calmer. Ca irait. Tout se passerait bien.

*

Le cadre était magnifique, très classique mais chaleureux. Les chaises glissaient avec un son feutré sur le sol marbré. Au plafond pendaient plusieurs lustres, dont un central, plus imposant et majestueux que les autres. Dans chaque pièce décorée d'un style différent, les conversations allaient bon train, sur un doux fond musical de jazz.

En face d'elle, Lui. Chaque fois que Hary plongeait son regard dans le sien, elle n'en croyait pas ses yeux : elle était bel et bien avec Lui, en train de discuter de tout et de rien. Ils partageaient leur passion pour la musique, parlaient de leur religion commune, de leurs familles — qui se connaissaient bien — de leur quotidien éreintant dans la capitale.

« Tu te verrais rester toujours ici ? le questionna Athénaïs.

— J'ai toujours vécu à Paris. Et j'avoue que j'ai vraiment l'habitude.

— C'est vrai. Pour moi, c'est différent. Je n'ai pas eu de mal à me faire au rythme de la ville, mais je me demande combien de temps je tiendrai !

— Pourtant, avec ta carrière, Paris reste encore le plus pratique, fit remarquer Hary.

— Oui, le rejoignit Athénaïs. Paris est l'endroit privilégié pour rencontrer les gens.

— Et comment vois-tu ta vie future, avec tous ces projets que tu as ? »

LA question à dix milliards d'euros. Athénaïs ne savait plus vraiment où elle en était dans sa vie. Ce tourbillon dans lequel elle se laissait délibérément prendre depuis le concert de Mikaël la grisait. Elle ne voulait plus redescendre. Sa priorité était à présent de boucler sa thèse au plus vite afin de se jeter à corps perdu dans l'univers du divertissement. Or elle était bien consciente que ce ne serait pas une réponse qu'apprécierait Hary.

« Je finis la thèse puis j'aviserai. »

Hary hocha la tête sous le regard d'Athénaïs qui retenait sa respiration. « Qu'il ne creuse pas trop la question, s'il te plaît, Seigneur ! » priait-elle. Malheureusement, ses supplications ne furent pas exaucées. Hary poursuivit, tout en piquant son magret de canard de sa fourchette :

« C'est-à-dire ?

— ... Je ne sais pas trop moi-même, à vrai dire, avoua alors la jeune femme, un peu gênée.

— C'est vrai que ça doit être particulier, comme situation, fit Hary avec un sourire. Un peu difficile à gérer. En tout cas, c'est impressionnant que tu arrives encore à concilier la musique avec l'hôpital. »

Son expression amusée et honnêtement admirative rassura Athénaïs qui s'autorisa alors à respirer plus librement.

« Tu me parlais de rencontres, sinon, Athé'. Vas-y, envoie du rêve : dis-moi qui tu as rencontré jusqu'à maintenant ! »

Elle éclata de rire et se prit au jeu, énumérant les personnalités qu'elle avait pu croiser.

« Et avec tout ça, tu es encore célibataire ! »

La phrase avait été lancée sur le ton de la blague mais le regard de Hary était si énigmatique en cet instant qu'Athénaïs se sentit rougir. Elle s'efforça de rire sans trop laisser paraître son trouble. Un éclat taquin brillait dans les yeux noirs de Hary, légèrement bridés. Pour se défendre, la jeune femme protesta :

« Oh, mais toi aussi, tu es célibataire !

— Oui. »

La courtesse de la réponse la déstabilisa, mais pas autant que la mine malicieuse de l'homme à la peau mate qui se tenait devant elle. « Epouse-moi qu'on en finisse ! » cria la voix intérieure de la jeune femme dont le sourire ne cessait de s'élargir.

« Mais je ne suis pas pressé.

— Clairement, moi non plus. »

Mensonge.

« Tu recherches quoi chez un mec ? »

Il n'était pas pressé, mais l'air de rien, il posait des questions assez orientées, remarqua Athénaïs non sans gaieté. Elle lui répondit en mettant l'accent sur la complicité qu'un couple devait avoir. Ensuite elle lui retourna la question. Sans surprise, il tombait d'accord avec elle. Il aimait prendre le temps de découvrir la personne, sans nécessairement courir après la possibilité d'une relation.

« Je pars du principe que si on arrive à être très amis, le reste vient naturellement. Si les choses doivent arriver, elles arriveront. »

Etait-il possible de faire mieux que ça ? s'exclama Athénaïs en son for intérieur. Prudence, néanmoins : Thibault avait prononcé ces mêmes phrases. Dans la pratique, leur essai s'était avéré être un échec cuisant.

« Genre, les relations physiques... Je ne trouve pas que ce soit essentiel au début. »

A ces mots, Athénaïs ne put se retenir d'écarquiller ses yeux. Avait-elle bien entendu ?

« Oui, je sais que c'est un peu bizarre...

— Non, pas du tout, l'interrompit-elle. Ce n'est pas bizarre du tout. Je suis même plutôt d'accord. »

Hary prit un air surpris, mais intrigué. Cependant Athénaïs ne poursuivit pas dans les détails. Il valait mieux ne pas tout dévoiler tout de suite. Leurs regards se fixèrent l'un à l'autre mais elle ne tint pas très longtemps et décida de se concentrer sur sa lotte. Un petit silence suivit ce contact visuel avant que Hary ne décidât de reprendre la conversation en évoquant ses relations passées pour illustrer ses propos. De son côté, le coeur d'Athénaïs commençait à battre un peu plus fort : il était en train de se confier à elle ! Il lui faisait confiance ! Elle adressa une petite prière de remerciement. Ca y est : elle avait enfin trouvé sa destinée.

" Non. "Où les histoires vivent. Découvrez maintenant