Lyssandre avait résolu, avant même que le château ne se profile à l'horizon, qu'il n'existait nulle échappatoire. Une certitude théorique et plus instable qu'il ne saurait se l'avouer.
Il arriva aux portes du palais et se présenta face à la large issue qui s'enfonçait sous le flanc sud de la structure. Il se rappelait avoir déjà nourri une certaine crainte à l'égard de cet endroit, mais jamais il ne lui avait paru si hostile. Tout juste ne s'attendait-il pas à être reçu par une pluie de flèches.
Une nouvelle déclinaison de la violence pour tout accueil.
La présence de Cassien le rassurait à peine. Lyssandre ne lui adressa pas un regard, certain qu'il n'y trouverait aucun soutien explicite, seulement cette figure de pion docile et glacial. La personnification de son rôle dans sa dimension la plus inhumaine. Face au roi, le mécanisme de la grande porte gémit, grinça, avant d'ouvrir une brèche dans les défenses du château.
Lyssandre comprit que quelque chose clochait lorsqu'il aperçut le nombre de soldats qui gonflaient la cour à l'entrée du palais. À moins que l'ambiance des lieux, étouffante comme un orage d'été, ne lui ait mis la puce à l'oreille. Il découvrit d'abord un certain nombre de courtisans rassemblaient sous les arcades qui bordaient la cour, puis les expressions tendues, un peu embarrassées, et enfin la présence de Nausicaa. Accompagnée par sa tante, échevelée, le visage encore rougi par l'effort, elle se retourna à l'instant où les murmures indisposés traversaient la haute noblesse du château. Lyssandre lut sur ses lèvres une exclamation tue par la surprise de la Cour :
— Dieu merci, il est vivant.
L'émotion qui dominait auprès des invités du souverain s'approchait d'un constat moins optimiste.
Le roi n'est pas encore mort.
Le poids qui écrasa l'estomac de celui-ci, traversé par ces deux ressentis, l'amena à regretter la violence, l'horreur, l'inhumanité honorée sur l'autel de la mort.
Là-bas, le jeu cruel de la survie avait fait de lui un homme. Guère plus, guère moins. Personne ne le modelait à coups de persiflages, de jugements hâtifs et de moqueries injustes. Personne ne façonnait son être et il avait le privilège de s'appartenir.
Un valet se précipita pour s'emparer des rênes du roi et de tirer l'animal par la bride. Lyssandre eut tout juste le temps d'effleurer ses naseaux frémissants pour y cueillir un souffle difficile. Il s'était attendu à être noyé par les sollicitations, mais tout le contraire était en train de se produire. Les courtisans n'approchaient pas le roi, pas plus que les ministres qui pâlissaient derrière l'élégante fontaine.
Avant que Lyssandre ne formule la suite logique de ces constats, un cortège de fabulations à la sentence souvent dramatique, quelqu'un rompit ce pacte silencieux. Calypso se détacha de Nausicaa, bouscula un conseiller qui dansait d'un pied à l'autre, manqua d'en renverser un autre, et lui passa l'envie de protester en lui lançant l'un de ses légendaires regards durs. La tante du roi se planta face au fils de feu son frère, redressa le menton sans prendre la peine de mettre de l'ordre dans sa coiffure, et déclara :
— Cette foule d'honnêtes soutiens à la Couronne ne le montre pas, mais sache qu'elle est on ne peut plus ravie de vous savoir de retour, sain et sauf de surcroît. Si tu veux bien me suivre, il serait regrettable que tu finisses décortiqué par tous ces regards... admiratifs et envieux.
Un murmure scandalisé rompit le mutisme fraîchement retrouvé de la Cour. Si Lyssandre n'avait pas su ces provocations prononcées à l'égard de ces nobles que Calypso haïssait cordialement, il aurait pu se sentir blessé. Ainsi, la teneur désagréable de ces regards qui le dénudaient ne constituait pas une fable de son esprit. Quelque part, il aurait sans doute préféré.
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Longue vie au roi [BxB]
Fantasy« Longue vie au roi ! » Jamais Lyssandre n'oubliera ces clameurs. Le trône lui est promis à la mort de son père et ce cadeau empoisonné ne se refuse pas. Hanté par le souvenir des défunts et par la mémoire d'un frère auquel il a volé la place, Lyss...