La morsure des Volkov

Chapitre 34

Je sursautai et me reculai dans le fauteuil comme pour me protéger de l'un de ses accès de rage.

-Maintenant il est damné pour l'éternité ! me cracha-t-elle.

Je protégeai ma tête de mes bras.

-Ne vous énervez pas Tania, elle ne pouvait pas savoir... intervint Nikita.

-Mais bien sûr que cela ne vous dérange pas, vous ! Vous aviez le contrôle de son esprit !

-Vous savez très bien que je n'ai jamais profité de ça !

-Parce que je vous surveillais ! Autrement je sais que vous auriez été boire du sang à travers lui !

-Arrêtez ! Vous allez trop loin ! C'est mon fils également et vous savez très bien que je n'aurais jamais fait ça !

La comtesse ne répondit rien et se contenta de le fixer avec ses yeux furieux. Nikita se retourna vers moi pour m'expliquer.

-Quand un vampire mort une autre personne, il contrôle son esprit du coucher au lever du soleil. La victime est comme hypnotisée, et le prédateur vit à travers elle. Ainsi, il peut voir par ses yeux, toucher par ses mains et sucer par sa bouche.

J'eus une grimace de dégoût. Puis je percutai.

-Mais si le duc Proklyatyy m'a contaminé...

-Et qu'il est toujours vivant, oui il peut vous contrôler.

Rien que d'y penser, je frissonnais d'effroi.

La comtesse Volkova haussa des épaules et roula les épaules.

-Vous n'êtes même pas capable de protéger une humaine.

Elle allait repartir mais Alexei qui arrivait au même moment l'en empêcha.

-Non Mama. Vous devez pardonner à Père.

-Jamais !

-C'est le duc Proklyatty qui a manigancé tout ça pour vous séparer. Ne pas pardonner à Père, c'est donner la victoire à ce monstre.

-Tu es trop jeune pour comprendre.

-Trop jeune ? Mama ! Dois-je vous rappeler mon âge ? se désola Alexei.

La comtesse resta immobile, le visage fermé. Plus personne ne bougeait, comme si nous avions subitement tous été changés en statues.

-Tania, moya dorogaya... essaya Nikita.

-Toi, tais-toi, exigea la comtesse en levant un doigt.

Elle sembla réfléchir un instant. Nous étions tous suspendus à ses lèvres. Son visage sembla se creuser, se rider, avant de s'étirer à nouveau. Seuls ses perçants yeux verts restaient impassibles.

-Très bien.

Ce fut un soulagement pour tout le monde. Un lourd nuage semblait avoir quitter le château en une fraction de seconde.

-Disons que je ne vous hais plus.

Nous étions encore loin de l'amour fou de leur début. Je ne savais pas si cette maigre consolation allait suffire à Nikita.

-Mama ! protesta Alexei.

-C'est mon dernier mot. Si tu me bloques encore le passage, je te métamorphose en soulier, alors fais-moi plaisir et laisse-moi passer.

Alexei ne se le fit pas dire deux fois et fit rapidement un pas sur le côté. Tatiana avança à petits pas pressés jusqu'à son salon où elle s'enferma.

-Il vaut mieux ne pas trop la contrarier... nous souffla le comte. Une sorcière qui n'est plus amoureuse est beaucoup plus puissante.

-Elle utilise souvent ses pouvoirs ? demanda Alexei.

-Non pas depuis longtemps. A partir du moment où nous nous sommes aimés, elle a perdu une partie de ses pouvoirs. Et depuis elle ne les a pas réutilisés.

-Peut-être que la perte de pouvoirs est définitive... proposai-je en baillant.

Les deux vampires hochèrent la tête.

Ils se regardèrent, silencieux. Les bougies avaient fondu et la pièce s'obscurcissait. Mes paupières de plus en plus lourdes se fermaient peu à peu. J'essayai dans un premier temps de résister à ce sommeil, mais l'engourdissement de mes membres et de mon esprit fut bientôt trop fort et je me laissai emporter dans le monde de la nuit.

Mes blessures s'éveillèrent au même moment. J'avais mal mais il m'était étrangement impossible de me réveiller. La douleur devint de plus en plus intense. Lorsqu'enfin j'ouvris les yeux, je me trouvais dans une grotte, couchée au sol, à même la terre. Il faisait froid et de la buée sortait de ma bouche. Il m'était impossible en revanche de bouger la moindre parcelle de mon corps. Je restais donc là, impuissante, face contre terre, à maudire mes blessures. J'entendais des gouttes d'eau tomber non loin de là. La terre était humide et me grattait la joue.

Enfin, j'eux l'impression que l'on me secouait. Mes blessures s'enflammèrent. Je quittais le sol de terre pour flotter juste au-dessus. Je retombais alors violemment sur le fauteuil de la salle à manger du château des Volkov. Tout le monde m'entourait. Nikita, Alexei et même Tatiana qui avait dû arriver en urgence. La sorcière tenait ma main dans la sienne.

-Tout va bien Marianne ? me demanda-t-elle.

Je hochai la tête.

-Que s'est-il passé ? demandai-je.

Les trois Volkov se regardèrent, l'air passablement paniqué.

-Vous voulez dire que...

-Il est toujours vivant et se sert de vous, me confirma Tatiana.

-Où étiez-vous dans votre rêve ? me demanda Alexei.

Je leur décrivis la grotte sombre et froide le plus précisément possible, mais ils ne purent pas en déduire grand-chose.

-Aviez-vous mal ?

-Oui, très.

-Pouviez-vous quand même bouger ?

-Non, j'étais immobilisée.

-Bon.

-C'est bien ? demandai-je.

-D'un côté oui, car cela veut dire que vous l'avez suffisamment affaibli pour qu'il ne puisse pas bouger. Mais d'un autre côté, cela est embêtant car il va utiliser votre énergie pour se reconstruire.

-Et si mon énergie ne lui suffit pas ?

Les Volkov échangèrent un regard inquiet.

-Il faudrait que vous restiez éveillée du coucher au lever du soleil pour qu'il ne puisse pas profiter de vous.

-Parce que s'il l'utilise ? Que se passera-t-il ?

-Il puisera jusqu'à la dernière goutte qu'il peut trouver en vous, commença Nikita.

-Et après ?

-Vous serez vidée de toute énergie vitale et vous mourrez.

Mon cœur sembla s'arrêter au moment où le comte avait annoncé ma mort. Je les regardais tour à tour, tous les trois. Ils avaient réellement l'air peinés pour moi. Tatiana resserra sa main autour de la mienne.

-Vous ne devez pas vous rendormir avant le matin, me chuchota-t-elle.

Mais, au même moment, je sentais cet état de fatigue extrême me ressaisir. Mes paupières refusaient la lumière et mes bras tombaient mollement sur les accoudoirs.