André

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Débordant de petit rouge, en bras de chemise et les mains dans les poches, André glisse et dodeline sur le pavé huileux. Comme sa veste pliée en deux lui donne le bras, il sent son portefeuille s'échapper de la poche intérieure gauche ; et si son esprit est traversé de vitesse, ses muscles sont déjà anesthésiés. Le portefeuille poursuit tranquillement son évasion et chute doucement dans une flaque, tel un morceau de beurre dans une poêle tiède.

Immédiatement, c'est-à-dire après trois ou quatre minutes, André se baisse comme il peut et ramasse son bien. Une voix moqueuse lui lance alors :

-Viens, mon beau ! Ma minette est aussi humide que ton pognon !

Si la réplique lui vient aussitôt, il ne trouve personne à qui la lancer. Il lui dirait qu'elle peut prendre le peu de ferraille qu'il a, avant qu'elle ne rouille. André n'est de toute façon pas d'humeur à tirer son coup, et dans ce quartier, à cette heure, on ne trouve que des putes bien oxydées. Bien oxydées. Ça, c'est bien trouvé. Il rigole doucement, mais de bon cœur. Le quart de tour qu'il entame pour repartir lui fait l'effet de deux ou trois saltos, quand la voix revient, subitement hargneuse et grasse :

-Celui-là en a sûrement une toute petite !

Nouveau quart de tour instable. Il ne sait plus combien de verres de pinard il a bu, mais il était coquin et tapissant pour le couloir. S'il n'a pas envie de pousser son argument, André n'est pas plus chaud pour un accrochage avec une dame. Ce genre de dame. Toujours personne en vue. Une ruelle sombre lui parle.

Elle en remet une couche, un peu plus douce :

-Ou t'es trop beurré pour bander, mon chéri ?

Voilà. Il remet son larfeuille dans la poche dédiée, escalade le trottoir et s'avance vers la voix. Il va la taquiner un peu, et lui dire gentiment qu'il n'ira pas loin avec les deux francs qui lui restent. Elle va insister un peu, et minauder en gigotant les boîtes à lait, et il ira sa route, un peu acoquiné et heureux.

C'est drôle, l'effet que ça fait, un coup de surin. Le mec l'a plaqué contre le mur de la ruelle, a pêché la croûte de veau vide au fond de la poche, et crac, comme en guise de remerciement lui a planté sa lame dans le bide. Assis contre le même mur, André lâche un rot vineux en palpant sa chemise trempée. Il ne se demande pas vraiment s'il est refroidi. Il espère juste, et ça le fait marrer, que la lame n'était pas rouillée.

Illustration par Jop. Droits réservés.

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