Dernière lettre

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« Kanroji,

Je vais sûrement mourir. Aujourd'hui, demain, ou peut-être bien dans trop longtemps. Mais si tu lis les lignes de cette lettre qui va sûrement rester dans mon bureau pendant des semaines, c'est que je suis déjà passé dans l'autre monde. Enfin.

Tout le monde peut-il avoir droit à une seconde chance, dans une autre vie ?

Je n'ai jamais voulu t'en parler car je ne voulais pas te souiller avec mes histoires, mais je suis né dans une famille qui n'a jamais rien su faire d'autre que des mauvaises choses. Toutes ces fois où je n'ai pas répondu à tes questions, où j'ai cherché par tous les moyens un échappatoire, je l'ai égoïstement fait avec l'idée de te cacher la vérité.

Parce que tu ne mérites pas ça.

Tu as éclairé ma vie, lui as offert les couleurs auxquelles je n'ai pas eu droit durant toute mon enfance, enfermé dans une cellule. Malgré la souillure du sang qui coulait dans mes veines, tu m'as souri. Encore et toujours, inlassablement, de la plus belle des manières.

Si je ne suis plus là quand tu lis ces lignes, j'espère que j'ai su être utile, que j'ai su purifier ne serait-ce qu'un peu mon être. Dans un monde où je pourrai vivre en paix avec tout ça, me repentir et accepter qui je suis sans me sentir immonde, sale et coupable, alors j'espère que nos routes se croiseront à nouveau.

Maintenant, je peux te le dire.

Je t'aime. Depuis tout ce temps.

J'aurais aimé t'inviter à manger encore et encore. J'aurais aimé continuer d'échanger ces lettres avec toi, lire ton écriture à la fois raffinée et incertaine, tes ratures. J'aurais aimé avoir la chance de combattre encore à tes côtés, d'observer ton visage épanoui lorsque les gens nous remerciaient, les larmes aux yeux.

Alors je prie, jusqu'à la dernière seconde, pour qu'on se rencontre de nouveau. Parce que où que je sois, je te chercherai.

Merci pour tout. »

Au gré des secondes qui défilaient et des mots qui coulaient sous l'émeraude de son regard, Mitsuri sentit son corps tout entier se plier sous les émotions qui l'assaillaient. Les larmes glissaient sans vergogne le long de ses joues, suintaient par son menton pour tomber sans gêne sur la lettre qu'elle lisait, encore et encore. Si ce morceau de papier, rare souvenir d'Obanai qu'elle pouvait conserver, n'avait pas été aussi important à ses yeux, sans doute n'aurait-elle pas pris la peine de faire attention à l'encre. Sans doute aurait-elle seulement laissé son tourment, sa peine et sa haine se déverser, par le biais de ses sanglots irrépressibles.

S'ils n'avaient pas échangé autant de lettres par le passé, elle aurait pu se méprendre ; mais cette écriture propre, penchée et soignée était bel et bien celle d'Obanai. Toutefois, il n'y avait pas la moindre rature comme c'était souvent le cas, signe qu'il cherchait ses mots. Le ton de sa plume ne paraissait jamais coupé et aucune lettre ne semblait hésitante ou tremblotante.

Comme s'il l'avait tant écrite qu'il la connaissait par cœur.

Ce simple constat suffit à lui écraser le cœur, lui retourner l'estomac et faire monter ses larmes. Une nouvelle fois, Mitsuri resserra l'étreinte qu'elle maintenait autour de l'haori de l'ancien pilier du serpent, en dépit de l'état dans lequel il était. Elle n'était que très peu venue dans sa chambre, pourtant tout lui semblait douloureusement familier, ici. Du côté perfectionniste qui ressortait à travers l'ordre qui régnait, comme si le cours du temps s'était interrompu, à la sensation d'apaisement qui glissait sur sa peau, dans cet endroit.

Alors que ses prunelles rougies arpentaient jusqu'à chaque détail de la pièce, Mitsuri sentit Kaburamaru se mouvoir autour de son bras, comme s'il avait su percer sa douleur – qu'il devait probablement ressentir, lui aussi.

— Je suis désolée, murmura-t-elle d'une faible voix, à l'attention du reptile.

Encore et encore. Depuis des jours, maintenant, ces mots étaient quasiment les seuls qu'elle parvenait à prononcer. La culpabilité l'étreignait, la chargeait d'un poids tel qu'elle ne parvenait plus qu'à se dire que si elle n'avait pas été si faible, sans doute n'aurait-il pas eu à la protéger au péril de sa vie.

Elle aussi, elle aurait voulu continuer de manger avec lui, se délecter avec simplicité de sa présence même s'il n'abaissait jamais son masque devant elle. Elle aussi, elle aurait souhaité échanger encore une infinité de lettres avec lui, s'amuser à décrypter jusqu'à la signification de chaque mot qu'il employait. Elle aussi, elle aurait aimé pouvoir combattre à ses côtés et protéger les gens, apercevoir le regard doux et empli d'émotions qu'il lui adressait, à chaque fois.

Parce que lui aussi, il avait éclairé sa vie. Il lui avait permis de s'accepter telle qu'elle était, sans faux-paraître. C'était comme si, sans qu'elle ne le réalise vraiment, il avait donné un sens à son existence, dans ce monde en guerre qui les avait longtemps – trop longtemps – bercés.

Un fin sourire mélancolique naquit sur ses lèvres, en dépit des larmes qui glissaient toujours abruptement sur ses joues. Malgré tout, cette lettre avait réussi à éteindre une partie, aussi infime fut-elle, de son angoisse.

Si Obanai croyait avec une telle conviction que leurs routes pouvaient se croiser de nouveau, alors elle y croirait à son tour. Pour lui, et pour ce moment qu'elle attendrait avec hâte, sans précipitation pour autant.

Parce que jusqu'à son dernier jour, son dernier souffle, son cœur lui appartiendrait tout entier.

Dernière lettre | ObaMitsu [KnY]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant