5. Castel Saint Égide

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« Suivant ! »

Ce fut enfin au tour de Paulin, qui se présenta devant le recruteur. Celui-ci le jaugea de haut en bas, du coin de l'œil, et remplit quelques lignes sur son formulaire. Enfin il leva son menton pointu vers la nouvelle recrue.

« Votre nom ? demanda-t-il tout en griffonnant du bout de sa plume.

— Paulin Destoisons, répondit le jeune homme.

— Savez-vous vous battre à l'épée, Paulin ?

— Un peu, monsieur. Je me suis entraîné avec celle-ci, expliqua l'ancien berger en montrant la lame qui pendait à sa ceinture.

— Fort bien, hocha le recruteur au visage anguleux tout en complétant une autre ligne.
Priez-vous le Véritable Premier ?

Le nom ne dit rien au jeune homme, dont le silence sembla contenter le recruteur.

— Fort bien, acquiesça celui-ci sans plus d'explications, rayant de sa plume une case de sa fiche. Croyez-vous en la Pureté ?

Cette fois, Paulin tiqua. Il était difficile d'oublier l'être quasi divin qui l'avait Élu...
— Je... je crois, oui, hésita-t-il dans l'espoir d'en apprendre plus sur l'entité dont il était l'émissaire.

— Très bien, appuya fortement le soldat. Les messes se tiennent tous les deux jours, dans la chapelle Aegis, pointa le recruteur sur un plan du fort. La prochaine aura lieu demain midi. C'est bien entendu Blanche qui y présidera. Avez-vous des questions, monsieur Destoisons ?

La Pureté constituait ainsi une religion, nota Paulin. Cependant, s'il demandait en quoi cela consistait au soldat qui pensait faire face à un adepte, il serait vite considéré étrange.
— Pas pour le moment, répondit-il finalement, décidé à poser ses questions à d'autres.

— Fort bien, conclut le recruteur en tendant la feuille et la plume à la recrue. Signez ici, je vous prie. Si vous ne savez pas écrire, une croix suffira.

Paulin marqua la ligne d'une croix d'encre.

— Bienvenue à Saint-Égide, monsieur. Au suivant ! »

Paulin s'éloigna du poste de recrutement, devant lequel une file d'attente patientait plus ou moins calmement. Non loin, Aliénor l'attendait en piochant à la cuiller dans un bol de soupe, assise sur une caisse en bois et accoudée sur un tonneau qui servait de table de fortune.
« Vous ne vous inscrivez pas ? questionna le nouveau soldat en s'asseyant sur une deuxième caisse et en s'appropriant un deuxième bol qu'Aliénor avait placé là.

— J'apprécie beaucoup ma liberté, répondit-elle avec un grand sourire. Vous avez pensé à remercier Claire et Loyal pour leur habile manigance ?

— Je ne pense jamais pouvoir le faire assez...

Il était à préciser que, de manière officielle, Paulin n'était pas un condamné à mort recruté pour échapper à sa peine, mais un fier paysan engagé volontairement dans la lutte contre Varlok et ses troupes. Cela évitait à l'ancien berger, entre autres, de se retrouver en première ligne contre les gobelins de Rocacier.
Cet accord passé avec les deux soldats se basait entièrement sur la confiance que ces derniers portaient en Paulin.

— Mon pauvre, commenta Aliénor, la tête posée sur ses deux poings, les coudes joints sur le tonneau.
Vous accumulez de grosses dettes en si peu de temps... j'espère que vous n'êtes pas un rat.

— Il faut dire que cette journée a été particulièrement longue...

— Je vous l'accorde, admit la jeune femme d'un ton rieur. Avant de reprendre, plus sérieuse :
Il nous faut cependant revenir sur un point.

— Je vous suis ouïe.

— Cette prophétie. Qu'en faisons-nous ?

— Eh bien, nous la suivons. Il y a, aux frontières de l'Ysgrith, un temple qu'il nous faut trouver car il recèle une épée capable de vaincre les Dragons.

— Et vous y croyez sans crainte ?

— Comment cela ? Je n'ai pas rêvé, vous y étiez aussi ?

— Certes. Mais... je veux dire, c'est si gros que ç'en est absurde... par exemple, quand bien même nous trouvions l'épée, comment comptez-vous vaincre le moindre Dragon ? Il faudrait d'abord s'en approcher, et pouvoir porter le moindre coup avant d'être réduit en cendres...

— Je comprends vos doutes, Aliénor. Mais... je ne saurais l'expliquer. Toute ma vie, j'ai gardé des moutons et subi les caprices d'un seigneur despote. Pour la première fois de mon existence, j'ai l'impression de participer à quelque chose de grand, d'être le héros que tous attendent. J'ai l'impression que je peux changer les choses.
Alors, même si nous avons tous les deux rêvé, même si je ne suis pas celui que la Prophétie attendait ou même s'il n'y avait aucune Prophétie, j'irai.

Aliénor ne sembla qu'en partie convaincue, et plongea, bougonne, ses yeux dans ceux du bouillon.
— Et comment comptez-vous aller jusqu'en Ysgrith, maintenant que vous êtes soldat ? Partir sans autorisation serait de la désertion. Une seule pendaison ne vous suffisait pas ?

— J'ai cru comprendre que les soldats d'ici vouent un culte au Dragon de la Pureté qui nous a confié notre quête. Je suis sûr que si je leur présente les faits, ils... pourquoi me regardez-vous ainsi ?

En effet, Aliénor fixait Paulin comme si ce dernier venait de se trancher un membre avec sa propre épée.
— Ne me dites pas que vous ignoriez tout de l'Église de la Pureté ? pouffa-t-elle presque.

— Eh bien, à vrai dire, il n'y en avait pas à Carmin. Mais au lieu de vous gausser de mes lacunes, peut-être pourriez-vous les combler ?

— Tout à fait, pardonnez moi. C'est simplement que vous comptez partir à l'aventure sans rien savoir du monde...

— Encore une fois, je ne demande qu'à apprendre. Parlez-moi de cette Pureté, et de son lien avec la nôtre.

— Soit. Partant du principe qu'il faut tout vous apprendre, vous me pardonnerez de reprendre les bases. Vous savez qu'à l'ouest, dans le berceau des montagnes, s'érige la Cité-Mort d'Ovilath ?

— Oui.

— Et qu'au nord s'étend l'Empire d'Ysgrith ?

— Et qu'au sud se déchaînent les élémentaux, et qu'à l'est sont bâties les Hautes-Terres, oui, abrégez. Quel rapport ?

— Eh bien, la Pureté est la religion des habitants des Hautes-Terres. À savoir les seuls qui puissent entraver l'expansion draconique. Il ne vous aura pas échappé que la capitaine de ce fort est nommée Blanche ?

— Tout à fait. Blanche de Saint-Égide.

— C'est un prénom typiquement hautes-terrien, tout comme Claire ou Loyal d'ailleurs. Je savais qu'ils possédaient de nombreux bastions et murailles vers l'est, mais j'ignorais que leur influence s'étendait jusqu'ici... Nous sommes presque au centre des terres connues. »

Un cor d'alerte résonna depuis une tour de sentinelles, et coupa court à cette leçon de géopolitique. Un criard confirma l'information : le fort était attaqué.

Ainsi qu'il fut ÉcritOù les histoires vivent. Découvrez maintenant