Nouvelle Neige

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La cendre du ciel tombe en poudre blanche sur le sol.
Les corps des morts rejoignent ceux des vivants dans des tourbillons de souvenirs pâles.

Assis sur un banc, j'attends.
La surface plane de l'étang face à moi brille sous la lumière du jour. Les grains de ciel ont formé un couvercle de glace à la surface et empêchent les corps des noyés de remonter.
Les arbres plient sous leurs fragiles branches nues qui se couvrent de souvenirs passés.
Les dernières traces de verdures disparaissent elles aussi sous le nuage blanc du temps.
Les chaussures des passants crissent sur cet ensemble de deuils et l'harmonie de la mort se fraie un chemin dans les ruelles spirituelles des esprits mortels.

Une jeune femme approche. Les roues du landau qu'elle pousse s'enlisent dans l'épaisse couche de cendres.
Sous le drap bleu pâle qui la couvre, une forme frêle se meut avec indifférence.
Le poids du deuil ne semble pas affecter les nouveaux vivants.
La mère se laisse tomber rudement sur le banc à côté de moi. Si ce n'est pas le poids de la vieillesse qui la fait s'écrouler, alors c'est celui de la jeunesse qui crie.
Elle se prend la tête entre les mains. Je ne vois pas son visage, mais je sens toute sa douleur qui traverse les dures planches blanches de l'assise.
Où est le père ? Fait-il parti de ces noyés figés sous la glace ?
Le petit crie toujours, je me lève avec l'envie de pousser son lit chaud dans le néant du fleuve des défunts. Que son lit brûle aux enfers puisqu'il ne connait pas la froideur de la mort !

Mais que fais-je ?

Je me laisse retomber lourdement sur le banc.
Non... Ce n'est pas moi. Je n'ai pas le droit de décider de la vie ou de la mort d'un être.
La mère me regarde, se relève et part en se retournant quelques fois vers moi. Ses yeux tristes me fixent comme un marin s'accrocherait aux étoiles s'il était perdu dans la tourmente. Est-ce que ses larmes se figeraient dans l'instant si elle pleurait maintenant, dans le dur froid de l'émotion tempête ?

Comme un manège de poussière, une boucle blanche intemporelle toujours tournante, une arrivée suit son départ. Une femme d'âge noble, frissonnante, s'avance à petits pas vers moi. Le souffle court, une buée floue s'échappe de ses lèvres, telle une âme quittant un corps trop usé par le temps. Sur ses épaules, un pâle châle fait ressortir ses membres rougis de froid : un linceul blanchi de poussière céleste.

Le ciel grisâtre semble s'étaler sur son visage, nuage flou de rides et ciel infini de sagesse. Bientôt peut-être fera-t-elle partie de cette cendre tourbillonnante, descendant doucement sur terre pour revenir quelques temps sûrement, à une vie fraîche et neuve d'avant printemps.

Je la regarde s'avancer patiemment. Pas après pas, elle raccourcit la vague distance qui nous sépare jusqu'à amener celle-ci à l'échelle de l'infiniment petit. Ephémère chose frissonnante contre l'assise du purgatoire, ses dents claquent sous la poussière blanche sombrant à nos pieds. Dans des petits cliquètements de grelots frêles, le banc tremble et un concert de pensées s'impose à nos impuissants esprits vieillis. Les yeux clos dans un sourire serein, les cascades de ses paupières blanchies se noient dans les gerçures du temps.

Ramenant son souple châle sur son visage, je m'attarde sur le fondement de paix qui la traverse lors de la chute du linceul sur sa peau. Les doigts refroidis par ce maigre impact, je les range dans mes poches sombres. L'esprit vagabond, je voyage entre les parcelles d'eau qui plongent vers la terre. Le temps de retourner le sablier, il ne reste plus qu'un pâle morceau de tissu à mes côtés et dans les reliefs de cendre, on distingue encore la forme d'un corps disparu.

Le tissu se noie dans mes poches. Mains dissimulées, je cherche à saisir du bout des doigts l'étrange soie qui s'éloigne dans un souffle. Soupir qui m'échappe et départ précipité, je me retrouve à arpenter les allées affaiblies du parc. A leur tour mes pas craquent, comme une fragile porcelaine, chaque soubresaut frissonnant manque de me briser à jamais. Mais j'avance toujours, broyant sous mes pieds les dernières gouttes vertes que le peintre a oubliées. Je m'échappe et me renferme dans une bulle claire aux reflets de givre. Chaque parole et chaque chant glisse sur moi comme un patineur sur la glace. Pêchés lavés et retour à la réalité, je m'oublie un moment sur les graviers éparses, prêt à replonger dans les abymes de la vérité.

On me croise, on me bouscule mais sans jamais s'arrêter. Je contemple les yeux fermés ces souffles de vie ternes qui m'effleurent et remplis ma carapace de sourires endormis. Ça y est, les morts reviennent. Je perds un instant le contact du vivant puis reprends pieds, assis dans la poussière.

Le ciel blanc me couvre de son regard blafard et entreprend un sourire indistinct à travers les nuages. Les feux de cheminées s'élèvent et oublient dans leur envol, le véritable son du crépitement flamboyant des bûches. La fraicheur accablante du temps s'aligne avec les couleurs pastel du firmament. Que d'étoiles éteintes, que de planètes givrées, que de mots glacés pour un étrange univers au passé oublié.

Malgré moi, mon regard s'élève toujours un peu plus haut, vers ces blancs cotons nuages qui ne cessent de se déplacer suivant le vent qui les emmène. Mes jambes tremblent sous les poussées passagères que je leur offre pour remonter la pente. Les tressaillements célestes des paroles inutiles se noient dans la broussaille qui s'oublie sous les branchages. Cendres lentement agonisantes sur le sol froid et craquements ravissants se font entendre au loin.

La bouche saoule de liquide perdu, je me noie dans mes propres pensées. La glace m'engourdit et je me sens glisser jusqu'au tréfonds des bleues abysses. Le ciel se fait plus lointain, le sable s'écoule et se rapproche, la poussière blanche fondue se glisse en moi et me fait inspirer ses plus claires idées. Des bulles s'élèvent, enfants joyeux jouant au vent. De l'eau s'écoule, rêves endormis et amours de jeunesse. J'avale à grand flots et remplis mes poumons de cet air antique introuvable en boutique.

Puis je sens qu'on m'attire, qu'on me tire, qu'on me retire la vie. La faux s'abat, je ne vois plus. Le noir infini tombe, je n'entends plus. Le ciseau coupe de son unique œil, je ne vis plus.

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Voici une nouvelle histoire de la composition créée spécialement pour un concours ^^
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