Elle est défunte à présent, hélas ! puisque rejetée du si pacifiant et bêtifiant lecteur qui l'a bannie, cette littérature de la truculence où la verve artiste rencontra la fulmination ! Comme dorénavant le cumul des sous au tableau des ventes suffit à attester la gloire et puisque le succès public se confond exactement avec la valeur critique, on n'a d'égard que pour la réussite et on méprise le génie, qu'on suppose une antique ampoule élitiste !
Or, agonir d'insurrection contre la médiocrité qui fait la fortune d'idiots et le bonheur des foules ne peut être logiquement que l'entreprise acharnée d'un individu ayant, malgré un talent qu'il sait indéniable, manqué à se faire reconnaître parmi les meilleurs de son temps : on devine sa frustration à voir parvenus avant lui tant d'ineptes partisans du consensuel qui, de vanité ou d'humilité, se pavanent d'importance, et le simple se figurera toujours alors que la frustration est mauvaise conseillère, confinant à la rancune qu'il croit par définition pousser à l'injustice. C'est qu'il ignore, l'imbécile, qu'en art le mérite n'est plus couronné chez nous depuis longtemps, lui qui se contente à peu près – et qui l'avouerait lui-même – du premier livre venu dans son genre de prédilection.
Pourtant, je l'assure, on peut hurler saintement. Il y a des cris hauts de répurgateurs jusque dans l'élan de certains glaives.
La fureur de l'innocente victime a des éclairs de vérité réjouissants pour celui qui ne se contente pas de trier automatiquement les « bons » et les « méchants » affects. Il arrive qu'un éreintement soit légitime, y compris quand il se mêle de bile si la situation qu'il dénonce est elle-même nauséeuse et pestilente. Ou bien il faudrait seulement des insurrections policées, avec demande de rendez-vous et prières réitérées. Pas sûr qu'un scandale puisse naître d'une poignée de mains ou d'une formule de politesse, sans parler d'une révolution lorsque c'est tout un système qui est en cause. Critiquer poliment, c'est améliorer ; injurier avec intransigeance, c'est améliorer instamment. Il y a de l'engagement personnel à éructer, il y faut de l'individu qui se collette : celui qui chante son adorable élégie peut bien rester perché, c'est un être charmant qui n'est entendu que des délicates créatures immobiles à l'ombre de son arbre.
Léon Bloy fut, je crois, un de ces vomisseurs divins. Les parias de talent sont toujours des monstres radieux.
Le Désespéré est le récit largement autobiographique de son double, Marie-Joseph-Caïn Marchenoir, un écrivain chrétien radical et pamphlétaire qui abomine de son époque tous l'art de pacotille et les artistes clinquants et ridicules qui l'ont conspué et réduit à la misère. L'auteur y retrace avec une haine délectable les épisodes d'extrême dénuement, sa réclusion à la Grande-Chartreuse, son mystique amour avec une ancienne prostituée devenue hallucinée de Dieu, ainsi que ses tentatives dérisoires pour publier les ors ténébreux de son style et de son esprit dans un monde de journalistes abjects et puants. D'une absoluité sans compromis, il arpente un monde nauséabond de vicieux profiteurs dont il réussit à faire jaillir sur lui l'unanime haine, incapable des moindres mondanités qui suffiraient à le faire bien recevoir.
Bloy dissimule à peine les noms : tous les grands acteurs littéraires de son temps sont éclaboussés d'infamies ou de calomnies. C'est un défoulement ricanatoire qui, dans sa manière désenchantée et scandaleuse, annihilant presque les contraintes d'une intrigue et diluant le récit dans des vociférations, incombe particulièrement à ce genre fin-de-siècle qui brise les tabous et pousse très haut les rires destructeurs. On croit voir s'écouler continûment une pluie poisseuse sur un Paris d'êtres humanoïdes et infirmes auxquels l'humanité manque par nature. Un suint purulent sape d'emblée toute ambition généreuse, et il n'y a qu'à dépeindre méticuleusement la sanie ambiante que sécrète une société enferrée de vacuité en attendant le retour du Sauveur qui viendra à la parfin tout assainir.
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
No FicciónDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.