Rien. Pas de bruit. Aucun. C'est la première fois depuis des mois que rien de bouge ici. Depuis que je suis arrivée en début d'année, jamais le site n'a été aussi silencieux. La « grande grève » qu'ils l'appellent, ou la « Révolution » pour les plus ambitieux. Le fait est qu'ils sont tous partis. Ou du moins, que personne n'est venu. La mine est déserte...
- Ils l'ont fait ces fumiers ! Ils sont pas v'nus !
J'entends Chef cracher et fulminer à une dizaine de mètres derrière moi. Il n'en revient pas sans doute, comme nous tous.
- Et pourquoi hein ? On est leur seul gagne pain et tout ce qu'ils trouvent à foutre, c'est d'arrêter de venir bosser ? Est-ce qu'on arrête nous, je vous le demande ! Est-ce qu'on a l'air de vouloir arrêter de bosser ? Est-ce qu'on se permet d'arrêter de bosser ?
Je l'imagine en train de faire de grands gestes avec ses bras, comme il le fait toujours, vers les autres. Pas envie de me retourner.
- Eh ben non, et vous savez pourquoi ? Parce qu'y a des gens qui comptent sur nous ! Et ils savent qu'ils peuvent nous faire confiance, parce qu'on répond toujours à leurs attentes. Mais à cause de ces fumiers, on va s'en prendre plein la gueule ! Parce que si le business marche pas, c'est qu'y a une couille dans le pâté. Et la couille c'est qui, je vous le donne en mille ?
Silence.
- Hein, c'est qui ? Dimitri, c'est qui la couille ? Eh j'te cause !
Je respire un grand coup et finis par me retourner. Je me rapproche pour qu'il puisse m'entendre.
- C'est nous Chef.
Il agite son cigare devant mon nez.
- Faux ! La couille, c'est eux !
Il allonge son bras tanné par le soleil en direction d'un point, derrière ce monticule de sable rouge. On ne le voit pas mais derrière, à quelques kilomètres, à cheval sur le fleuve, il y a un village. Un village avec des hommes, des femmes et des enfants. Et d'après le chef c'est eux, le problème.
Je ne détourne pas le regard, je le garde fixé sur le Chef qui me jauge d'un œil noir.
- C'est eux.
Il semble se détendre un peu et laisse retomber son bras contre lui. Il enfonce son cigare dans sa gorge et prend une grande bouffée avant de cracher :
- Et je vais leur faire payer à ces sales nègres ce temps perdu. Je jure que je leur ferai payer.
Je le regarde se retourner et partir à grands pas. Il donne un furieux coup de pied dans une pierre rouge qui va rouler un peu plus loin.
J'ai toujours pensé que le Chef ne savait pas garder son calme quand la situation l'exigeait. Aujourd'hui, une fois encore, j'en ai la preuve. En même temps, si tout devait nous retomber dessus comme ce sera son cas, n'importe qui ne réagirait-il pas de la même façon ?
Avant de formuler une quelconque réponse, petite explication et quelques éclaircissements...
Je m'appelle Dimitri Richmont, j'ai 32 ans, je suis reporter et je travaille pour un journal d'investigation français. Cela fait plusieurs mois que j'ai quitté mon pays pour une nouvelle affaire et comme je dois mener mon enquête incognito, je suis parti seul. Aucun collègue n'a pu venir avec moi. Mon sujet : les conditions de vie des mineurs. Mon excuse : le tantale, ce métal rare et précieux utilisé dans nos téléphones portables afin qu'il n'y ait pas de surchauffe. J'ai réussi à me faire engagé dans un groupe de responsables caucasiens; responsables du bon fonctionnement de la mine. J'ai donc dû m'exiler seul en République Démocratique du Congo. Les mines d'extraction de tantale, voilà quelle était ma destination.