Chapitre 1 - Cheveux bleus, bières et nez ensanglanté

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            Octobre. C'était le cœur de l'automne. Les feuilles rougeoyantes dansaient autour des arbres, bercées par la mélodie indicible du vent. Elune percevait des notes qui combleraient la valse, elle entendait un air mélancolique et serein. Assise sur un banc de pierre au milieu du campus, elle tapait comme sur un clavier en fermant les yeux. Ses cheveux cinabres se fondaient dans le paysage, dansant comme les branches en plein dans son visage. C'est en faisant la grimace, qu'elle cracha les mèches de sa bouche et qu'elle ouvrit les yeux, sortie ainsi de sa torpeur mensongère des films où les ventilateurs viennent empêcher un tel ridicule aux actrices.

           Elle regarda sa montre, reposa la main sur le banc pour profiter encore un peu de la bise. Elle re-regarda sa montre. Et soudain elle comprit l'heure. Dans un élan de panique, elle se saisit rapidement des ouvrages à ses côtés et se mit à courir. Vite. Très vite.

           Elle avait beau être en quatrième année, l'université lui semblait toujours aussi immense, elle s'y perdait en permanence ; avec ces allées extérieures, ces bâtiments gigantesques et ces couloirs tous plus semblables au précédent, elle avait le sentiment de vivre ses journées dans un dédale infernal. Finalement, entre ses retards et ses égarements, Elune n'avait aucune notion de l'espace-temps. Et, bien malgré elle, les minutes s'écoulaient.

           Elle croisa le chemin d'une camarade et amie, Léa, une jeune femme à lunettes, aux cheveux azurs coupés en carré qui faisaient sa fierté. Elune s'accrocha à sa présence comme à une bouée, non seulement elle allait retrouver son chemin mais en plus elle n'aurait pas le déplaisir d'entrer seule dans l'amphithéâtre. Léa, enleva son casque et le mit autour du cou.

« Panne d'oreiller ?

- Je rêvassais sur un banc.

- Comme c'est étonnant. Dis-moi, t'as fini de traduire le passage des Histoires vraies qu'on doit rendre ? Je bute sur une phrase et ça n'a plus aucun sens !

- J'ai cessé de chercher du sens dans mes traductions depuis longtemps... répondit-elle avec résignation. »

             L'enseignant étant plus encore en retard que nos deux demoiselles, elles purent sans gêne s'installer où bon leur semblait.

« Dites les filles, vous avez rencontré le nouveau sur le campus ? »

            Elles haussèrent à l'unisson les sourcils. Non seulement elles ignoraient le nom de leur interlocutrice - elles doutaient l'avoir déjà vue en cours – mais en plus elles se moquaient éperdument de l'existence d'un nouvel étudiant.

« Non. Dit fermement Elune en s'asseyant.

- Nan mais parce qu'il est arrivé y a une semaine, on l'a à peine aperçu sur le campus, il devait sans doute régler des trucs administratifs, enfin vous connaissez la fac quoi, ça prend une plombe et ils perdent toujours les papiers, une plaie, quoi. Et ce mec est trop beau, mais genre vraiment trop beau.

- Cool. Tenta de conclure Léa.

- Vous êtes sûres vous l'avez pas vu ? Parce qu'on cherche trop qui c'est et dans quelle filière il est. J'crois qu'il est en science, mais ça serait trop trop dommage, un tel gâchis, quoi. J'vous jure. Toutes les filles en sont déjà folles.

- On s'en cogne.

- Grave. »

              Elles regrettaient un peu leur impolitesse, mais la voix suraiguë et nasillarde de leur camarade – elles étaient d'ailleurs désormais sûres de ne l'avoir jamais vue en cours – leur perçait les tympans. Elles ne pouvaient endurer le flot incessant de ses paroles et avaient dû, pour le bien de leur audition et pour préserver leur intelligence d'une telle sangsue, mettre un terme à la conversation.

              Au fil des jours, on entendait effectivement des bruits de couloir au sujet d'un garçon particulièrement séduisant, tout juste arrivé après un transfert depuis une autre université ; il était donc certain qu'il avait dû galérer avec la paperasse et les administrations universitaires.

            Alors qu'Elune avait rendez-vous avec l'un de ses directeurs de mémoire, elle courait dans le couloir, les bras chargés d'ouvrages divers et bien trop épais, saluant joyeusement au passage les nombreux camarades qu'elle croisait. Elune avait une petite réputation, d'un naturel assez sociable et enjoué, elle avait su s'intégrer suffisamment pour connaître pas mal de gens mais n'avait approfondi ses relations qu'avec peu de personnes.

          Parce qu'on est dans une histoire à l'eau de rose, ce qui devait arriver, arriva ; elle percuta, dans sa hâte, un jeune homme.

« Oh moineaux de mésanges – la grossièreté étant une vilaine chose, nous censurons la vulgarité par des noms d'oiseaux, littéralement, merci de votre compréhension – Fais tourterelles ! »

          A cause du choc, Elune avait lâché les livres et cherchait en hâte un mouchoir pour interrompre le saignement, presque hémorragique, de son appendice nasal qui devenait un cap, un pic - que dis-je une péninsule - à force d'enfler. Un vaisseau sanguin de son nez de fragile s'était rompu, elle avait beau avoir l'habitude, c'était quand même très pénible.

            Après avoir regardé sa montre et constaté son retard, elle ramassa d'une main les malheureux codex qui gisaient au sol tels des cadavres, lança de rapides excuses à l'intention du jeune homme auquel elle n'avait pas même adressé un regard. Celui-ci la regarda partir, mouchoir maculé de sang maintenu sur son visage, bras droit tenant maladroitement quelques bouquins, laissant sur son sillage des gouttelettes de sang tomber sur le sol. Amusé, il sourit et continua nonchalamment sa route.

« Je vais vraiment t'acheter une armure. Soupira Léa en voyant le visage de son amie.

- Zurdout un cazque. » répondit Elune, le nez pincé par son pansement, exaspérée.

            Deux semaines s'étaient écoulées depuis ce malencontreux incident et le nouveau était pourtant toujours au centre des discussions. Dans sa minuscule chambre étudiante, Elune se préparait pour rejoindre Léa à une soirée étudiante. Jean, gros sweat confortable et douillet, baskets, pas de salade dans les dents ; parfait. Vivant au quatrième étage de la résidence, elle hésita à prendre l'ascenseur mais les cliquetis flippants qui émanaient de la cage la persuadèrent de prendre l'escalier. Elle dévala quatre à quatre les marches avant de rejoindre Léa dans leur pub favori.

« Tu crois que le fameux nouveau sera à la soirée ? demanda Léa en sirotant sa bière.

- Tu ne vas pas me faire croire que tu t'y intéresses ?

- J'ai fini par être curieuse, c'est devenu presque une légende.

- Mouais.

- Et puis y a pas de mal à se rincer l'œil !

- Pas faux. Comment va ton copain, en fait ? lança, mesquine, Elune en prenant une lampée de sa boisson.

- Lequel ? rétorqua l'amie. »

           Léa était un peu volage, elle multipliait les relations mais se lassait rapidement. Elle était cependant en pleine période de célibat et comptait sur cette soirée pour remédier rapidement à cela. Elles burent deux bonnes pintes chacune afin d'arriver à la fête suffisamment ivre pour pouvoir se détendre au milieu d'une foule d'inconnus.

           Il allait être minuit, la fête battait son plein, certains, déjà bien ronds, vomissaient dans un coin.

« Des L1.

- Sans nul doute ! échangèrent les deux inséparables. »

         Elune commanda deux bières auprès des organisateurs de soirée et balaya la salle du regard afin de trouver un groupe dans lequel s'immiscer. Ses yeux s'arrêtèrent sur une scène ridicule ; des filles, agglutinées en masse autour de quelques garçons, tentaient, à coup de gloussements forcés, d'attirer une quelconque attention. Elune aperçut une tête inconnue dépasser du groupe et détourna simplement le regard vers le barman qui lui tendait les boissons avant de rejoindre sa belle amie aux cheveux bleus.

« C'est la fille au nez rouge ! » pensa le jeune homme au milieu de ses groupies.

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⏰ Last updated: Jan 30, 2020 ⏰

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Moineaux de mésanges !Where stories live. Discover now