Pourquoi il n'est pas là grand-père ? Son fauteuil est vide !
Hier déjà, je ne l'ai pas vu, ni même avant-hier !...Où peut-il bien être ?
Je cherche dans la maison. La porte de sa chambre est fermée, mais il ne dort pas. Je n'entends pas ses ronflements.
Je cherche dans ma tête. Quand l'ai-je vu pour la dernière fois ?... Je crois que c'était dimanche, parce que le dimanche, il n'y a pas de journal.Avec grand-père, nous avons nos petits rituels. Tous les matins, je l'accompagne au village, jusqu'au bureau de tabac où il achète son "canard", comme il dit, et nous repartons, en faisant le détour par l'école primaire. Le dimanche, c'est différent, nous faisons une grande balade dans la campagne. Souvent nous rentrons juste un peu avant le déjeuner. Il s'assoit dans son fauteuil et je m'installe juste à côté. Alors il me tapote la tête en disant "brave petit". Mais dimanche dernier, nous sommes rentrés plus tôt. Grand-père était fatigué. Il s'est même endormi dans son fauteuil avant la sieste, enfin, avant midi...
Ce fauteuil, près de la cheminée, c'est sa place. Personne ne s'aviserait de la lui prendre. Chacun la sienne. Maman est souvent dans la cuisine, même pour faire ses mots croisés. Et papa, lui, il reste des heures dans son atelier. La mienne, c'est entre le fauteuil de grand-père et la cheminée. Et personne d'autre ne l'utilise Oui, ici, c'est chacun sa place.
Enfin, d'habitude c'est comme ça. Là, je ne comprends pas ce qui se passe. Grand père n'est pas venu s'asseoir dans son fauteuil depuis plusieurs jours. Maman s'essuie souvent les yeux. Les enfants sont arrivés ce matin, mais ils n'ont pas envie de jouer. Papa s'approche du fauteuil, s'appuie un instant sur le dossier et finalement prend place sur l'assise élimée, les coudes sur les genoux et la tête dans les mains. Qu'est-ce qu'il fait ? Pourquoi ses soubresauts de son dos ? et c'est quoi ces bruits bizarres ? Les mots des enfants sont graves et leurs yeux sont mouillés.
Papa se redresse un peu et me regarde. Comme le faisait son père, il me tapote la tête, m'ébouriffe un peu et s'adresse à moi, dans un soupir :
-brave petit, il est parti, tu sais. Il va te manquer, à toi aussi. Oui, mon brave chien, il va nous manquer... à tous...