Longue vie au roi [BxB]

Chapitre 43

Deux jours s'étaient écoulés, comme prisonniers d'un cauchemar.

Comme les otages du temps qui s'agrippait à chaque heure, à chaque minute.

Lyssandre ressentait avec une affolante précision ce temps qui s'écoulait, ce temps dont il ne disposerait plus. Le monde tournait toujours, presque normalement. À l'exception des conversations de la Cour, qui ne cessait de déblatérer à ce sujet, à l'exception des dégâts de la bataille, ce petit monde reprenait ses occupations. Il n'y avait plus vraiment d'urgence à traiter, sinon la menace d'Äzmelan, les rares soldats qui n'avaient pas préféré la mort au statut de prisonniers de guerre, et quelques personnalités portées disparues. Parmi celles-ci, il y avait Alzar, le ministre de la guerre, et le duc de Lanceny, Tybalt.

Lyssandre avait repoussé autant que possible l'instant où il lui faudrait faire l'état des lieux. Dans l'après-midi, il avait affronté la réalité en face et s'était rendu à l'évidence. Ce château n'était pas son ennemi. Ainsi, à mesure qu'il en parcourait les nombreux couloirs, qu'il passait en revue les immenses colonnades et les détails ouvragés du palais, Lyssandre avait compris.

Ce château avait souffert, tout comme lui. Il portait fièrement ses blessures, ses morceaux arrachés à son imposante stature, ses tapisseries carbonisées ou juste noircies par les flammes, ses impacts de flèches et d'épées.

Lyssandre avait alors croisé la route d'un groupe de quelques courtisans. La plupart optait pour le silence lorsqu'il arrivait à la hauteur du roi, conscients que leur complicité, voire leur traîtrise pouvait à tout moment être découvertes. Ceux-ci n'eurent pas cette délicatesse.

— Ma chère, vous devriez suivre mon bon conseil. Vous êtes jeune, la Cour n'est pas le seul endroit où les jeunes héritiers paradent, croyez-moi. Halev est plus sûre, votre château au Sud du Royaume également, souffla une dame au maintien impeccable et qui profitait manifestement de son expérience pour dispenser quelques conseils.

— Je ne sais pas... Ma mère souhaiterait que je reste, elle prétend que ma place est ici et que je ne trouverai nulle part ailleurs de meilleurs partis, rétorqua la jeune débutante, qui marchait avec une lenteur toute bourgeoise, comme le lui avait sans doute inculqué une mère avide d'un bon mariage.

— Balivernes ! Cet endroit n'est pas sûre, voyez vous-même. Une attaque sur le palais... Rendez-vous compte, personne de mémoire d'homme n'a jamais vu pareille chose. J'en ai discuté avec une certaine dame d'Halev, une femme brillante qui vous concocte toute sorte de breuvages, je vous recommande sa science, et elle est du même avis. Ce n'est que le début. Le palais n'est plus un lieu sûr, de nos jours, et quelques familles ont déjà eu le bon sens de rejoindre leurs terres. Ces affaires politiques ne nous regardent pas, mais je peux vous assurer que du temps de Soann, jamais il ne...

La débutante en oublia tout le respect qu'elle devait à son aînée. Elle asséna un coup de coude dans les côtes de celle-ci et la jeune femme qui les accompagnait, silencieuse, mais attentive, freina des quatre fers. Le roi était arrêté devant une des hautes fenêtres du château. Une partie de la vitre avait été enfoncée, brisée et fissurée sur une dizaine de centimètres par l'offensive.

La courtisane aux nombreux conseils afficha un sourire de circonstance après avoir consulté cette brèche et lui avoir prêté un manque d'esthétisme assez certain. Elle s'inclina la première et donna la réplique aux demoiselles qui l'imitèrent prestement. Celle qui avait gardé le silence arborait une moue étudiée, baissait les yeux pour mimer la pudeur et la timidité, puis laissa accidentellement tomber son petit sac de perles. Elle porta une main à sa bouche, comme pour se scandaliser de sa propre maladresse. Son visage poupin, qui découvrait sa sensualité au travers du regard des hommes, se maquilla d'un rouge vif lorsque le roi se baissa pour le lui ramasser. Il repassa la boucle autour du poignet de la jeune fille qui jubilait secrètement.