Acte I, 2e Epître - Une sale journée

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« Je savais que ça allait être une journée de merde... » Silvermann avait lâché cette phrase sans même y réfléchir, alors que son coéquipier peinait à faire avancer leur voiture au milieu des curieux obstruant le passage sur Park Row. Il faut dire que dès son arrivée au bureau, la journée avait mal commencé : son témoin clé dans l'affaire Newton n'était plus si sûr d'avoir vu le principal suspect quitter les lieux dans le créneau horaire du meurtre, mettant ainsi à mal tout son dossier contre lui ; son neveu s'était de nouveau retrouvé impliqué dans une beuverie ayant dégénéré en bagarre générale, et il avait encore été obligé de faire des pieds et des mains pour le sortir des cellules de dégrisement, sous peine d'avoir sa belle-sœur sur le dos H-24 pour libérer "son pauvre bébé" ; et par-dessus le marché, Bill, son fringant partenaire planté à ses côtés sur le siège du conducteur, plus occupé à se délecter d'un donut à la framboise qu'à se frayer un chemin au milieu de la foule, avait décidé de son propre chef qu'aujourd'hui serait le jour où Tom Silvermann, inspecteur au service Homicide du New New York Police Department, ou NNYPD, serait enfin libéré du joug de la cigarette (rien que ça) ! Et maintenant, cette explosion sur le pont de Brooklyn pour couronner le tout...

« - Arrête de bougonner ! s'exclama Stones, en replongeant la main dans le sachet de donuts. Tu t'es pris un revers dans l'affaire Newton ? Et alors ? Un simple contretemps pour toi ! Quant à ton neveu, les vacances sont bientôt finies. Et là, ça sera le problème de la police de Santa Fe, plus le tien.

- Tu sais, Bill, pour autant que j'apprécie ta vision idyllique du monde, elle serait beaucoup plus appréciée avec une bonne cigarette en main !

- Toujours ce discours pessimiste ! Comme si une bouffée de nicotine pouvait régler tous les problèmes !

- Peut-être pas TOUS les problèmes, mais les miens sans aucun doute, rétorqua Silvermann.

- Tom. En tant que coéquipier et ami, je te le dis comme je le pense : tu anesthésies ton génie avec cette cochonnerie ! Sans oublier ce que tu fais à tes poumons.

- Bill. En tant que coéquipier et ami, je me dois de te sauver de tout ce gras que tu ingurgites à longueur de journée, ironisa l'inspecteur en se saisissant du sac contenant les viennoiseries.

- Déconnes pas, Tom. Tu sais que je suis bon à rien sans ma dose de sucre, le supplia son équipier.

- Rends-moi mes clopes, et on reparlera. »

Les deux hommes se regardèrent silencieusement, cherchant à déstabiliser l'adversaire et tester sa détermination.

« - Tu sais que je pourrais te casser la figure, là, tout de suite ? fanfaronna Stones. Un maigrichon comme toi ne tiendrait pas deux secondes face à un Marines entraîné.

- Tu vas utiliser ton argument de l'ancien Marines pendant longtemps ? Ça fait facile dix ans que tu es passé du régime militaire au régime gras-double.

- Gras-double ?! N'importe quoi ! J'ai encore mes abdos de jeune homme moi, monsieur !

- Ou ça ? Sous les bourrelets ? »

Piqué dans son amour propre, Bill se renfrogna et se mura dans le silence. Voyant qu'il avait poussé la plaisanterie un peu trop loin, Silvermann tenta de se rattraper, mais le mal était fait.

« - Tiens, voilà ta dose de mort aux rats, grogna le colosse en sortant le paquet de cigarette de son collègue de sa poche et en lui jetant sur les genoux. Je peux récupérer mon sachet maintenant ?

- Bill...

- S'il te plaît ? insista-t-il fermement.

- Tiens, le voilà, s'exécuta Silvermann en posant le paquet de donuts sur l'accoudoir entre eux deux. Mais tu vas être déçu : il est vide.

DIES IRAE - Cycle I : L'AngicideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant