Mer automnale, paradis, vierge...

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Je ne voulais pas partir de cet endroit merveilleux, cet havre de paix. Plus loin sur la falaise où je me situais, se trouvait un banc, trois personnes y étaient assises ; derrière celle du milieu, se tenait un garçon. Ce dernier avait sa tête enfouie contre l'épaule de son amie. Tous les quatre étaient vêtus de noir, du pantalon à la veste en passant par le chapeau.  Ils regardaient avec émotion le même paysage que moi. Le vent m'avait rapporté les paroles de la femme du milieu. Elle avait exploré ses lieux magiques de fond en comble, avec un être cher, qui l'avait maintenant quittée.

En effet, le spectacle qui s'offrait à moi était juste inimaginable. Appuyée contre la rambarde de métal froide, j'admirais le paysage époustouflant auquel je faisais face. J'étais au bord de la falaise, en dessous de moi se trouvait un fleuve calme, et face à moi, la plus belle chose que je n'ai jamais vu.

Il y avait trois collines parfaitement alignées. La première, était de couleur orange, rouge, et jaune. C'étaient les couleurs du feuillage des cimes des arbres qui tapissaient la colline entièrement. J'en avais le souffle coupé, le murmure du vent rabattait les feuilles. Telle la houle des vagues dans l'océan déchainé, les feuillages couchés formaient un océan de couleurs vives. C'est ce que j'appelais la mer automnale.  La deuxième, était fleurie, je pouvais les voir de là où je me situais. J'imaginais les animaux de prairie se baladant dans cette forêt verte et rose, des fleurs, et des champignons au pied de chaque tronc d'arbre, baptisée le paradis. Le soleil rayonnait à travers le feuillage, lui accordant une douce clarté verte, les oiseaux chantaient à-tut-tête. L'air pur sentait le parfum boisé. A l'extrémité de la colline se trouvait une frontière très mince, celle d'un monde fleuri et d'un monde blanc. Un petit torrent au courant agité faisait office de frontière. L'eau claire miroitait la forêt dans cette eau glacée.  Un vieux et grand tronc servait de pont entre ces deux univers si différents mais qui se suivaient toujours. De l'autre côté de cette frontière, se trouvait une colline, d'une nature cette fois de couleur unie. Un désert blanc à perte de vue. Une épaisse couche de neige recouvrait les arbres nus, le givre enveloppait les branches les plus fines. Cette réalité semblait figée, rien ne pouvait se passer, son histoire n'avait pas encore été écrite. C'est pourquoi, je le nommais vierge, pour la simple et bonne raison que cette terre était blanche comme une feuille d'écriture. Je me demandais quelles sortes d'animaux pouvaient bien vivre dans ce monde si hostile, calme et vaste.

Mes yeux passaient des couleurs vives au blanc encore et encore, sans arrêt. De là où je me trouvais je voyais le torrent à l'eau glacée se jeter dans le fleuve. Je me demandais où il allait, peut-être dans un autre univers ? Mais je n'étais pas d'humeur à chercher. Il y avait quatre énormes rochers gravés d'une langue inconnue au bord du fleuve et des deux collines extérieures. Ces dernières étaient forcements sacrés.                                                                                                                     Vous devez vous dire qu'il manque quelque chose, eh bien oui. Derrière moi se trouvait une forêt majestueuse. Les arbres se dressaient à perte de vue, leurs cimes étaient hautes. Les feuilles vertes se tenaient fièrement sur chaque branche. Comme au paradis, un chant mélodieux d'hirondelle, de pouillot, des martèlements de pivert, des houlements de divers hiboux se faisaient entendre. Les rayons chauds du soleil se posaient sur les plus belles fleurs de la forêt. Je ne trouvais pas de nom pour ce lieu grandiose. En inventer un serait une sorte de censure, cet endroit ne pouvait pas être défini.

J'étais persuadé que si je sautais, je prendrais mon envole. Et c'est ce qui se produisit. A peine mes genoux s'étaient détendus que j'étais dans les airs. Je me sentais si légère, je flottais ! J'étais devenue plus petite, je devais faire une dizaine de centimètres, en tout cas je n'étais pas plus grande qu'un oiseau. Le vent plaquait ma robe contre moi, ma tresse brune retombait dans mon dos. Je jouais avec le vent en me laissant emporter, me tournais et retournais, suivant des oiseaux. Je pouvais aller où je le souhaitais ! Je voulais visiter les trois collines sacrées, y trouver des cascades, des grottes, des terriers, des nids. Observer les différents animaux. Mais je n'en fis rien. Dans le ciel azur comme la mer, aucun nuage ne s'y trouvait. Cependant un rayon jaune attira mon attention, j'y vola pour le voir de plus près. Un cercle doré venant de nulle part, sans aucune méfiance ; je m'y engouffrais entièrement. Je ne sais pas comment j'étais venue sur la terre magique où je demeurais il y a quelques minutes. Mais maintenant j'étais sur une place en pavé gris. A côté se trouvait un petit abri avec de longues tables, et de longs bancs. Je regardais mes pieds, j'avais retrouvé ma taille normale. Une petite fille sortit de cet abri, elle portait un bonnet rouge avec des yeux et une bouche de panda dessus, ses cheveux tombaient sur ses épaules. Je reconnu ma sœur, elle portait un blouson bleu foncé, un jean gris et des chaussures de sport. Elle me regardait d'un air ahuri, je ne comprenais pas pourquoi, je ne flottais donc plus. Un garçon venait de surgir derrière moi, il avait un sweat jaune et un jean gris troué. Une fille de mon âge l'accompagnait, elle portait un pull brun et un jean bleu foncé. Elle me demanda si j'allais bien, nous échangions notre journée, nous rions. Lorsque je leur contais mon voyage dans ce magnifique pays, le garçon essaya de sauter pour voir si je n'avais pas perdu la tête. Il fut surpris de rapetisser comme moi avant. Ma sœur et la fille se sont précipitées de faire de même. Les trois amis échangèrent en riant aux larmes. Je levais la tête, le ciel bleu qui recouvrait le monde merveilleux avait fait place à un ciel gris et triste. Je pliais mes genoux et m'envola à mon tour, je vis de nouveau le rayonnement qui m'avais permis de venir ici, alors je le désignais à mes amis en leur indiquant notre porte d'entrée pour l'univers féérique. Je n'avais pas remarqué que derrière moi se situait une cathédrale avec deux tours. Le monument paraissait tout aussi mélancolique que le ciel. Un couple de notre âge sortit de la cathédrale. Le garçon attira mon attention, il avait un drôle d'accoutrement. Celui d'un roi, son costume entier ressemblait beaucoup à un vrai, il avait tout, des collants à la couronne. Son visage m'était curieusement familier. Je n'avais aucune idée de l'identité de la fille à son bras. Je décidais d'aller à sa rencontre, mais mon temps était compté, il fallait que je retourne auprès de mes amis au plus vite, avant que le passage ne se referme, je sentais mon cœur battre la chamade. Les cloches de l'église sonnaient six heures.

Le bruit des cloches me fit revenir à la réalité. J'ouvrais un œil puis l'autre, il faisait sombre. Une lueur éclairait les ténèbres, elle afficha aussi six heures. Je m'affolais, serait-ce un rêve ?? J'ai bien peur que oui, à contre cœur je sortis de ma couette en me demandant si je pourrais un jour revoir cette planète irréelle et splendide. Ainsi que ce sentiment de liberté et de légèreté que j'avais en volant. Même s'ils font partis du fruit de mon imagination, je sais qu'au fond de moi je ne les reverrais plus jamais comme je les ai vu cette nuit.

Adieu, adieu monde magique, adieux mer automnale, paradis vierge...

Mer automnale, paradis, vierge...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant