CHAPITRE I
"Ce qui n'a pu se mettre en larmes et en mots s'exprime ensuite par des maux, faute de mots pour le dire."
Anne Ancelin- Schutzenberger
Ma main effleura la barre. Cette barre en bois, que je touchai pratiquement chaque jour depuis maintenant presque 10 ans. Elle me rassurait, et j'en avais besoin. Quand je posai ma main dessus, je savais que tout ce qui suivrai serait rempli de sensations incroyables. Mais ce lundi-là, c'était différent. Je ne me sentais pas à l'aise, et j'avais pris la mauvaise décision de me mettre tout devant, face au miroir. Mon reflet me dégoûtait. Je me trouvais vraiment immonde. Je jetai un œil au reste de la salle de danse : elles étaient toutes plus mince. Bien plus mince que moi. Comparé à moi, chacune était fine, jolie, élégante. Et moi, à côté de ça, j'avais simplement l'impression d'être un gros déchet.
Le professeur entra dans la salle. J'aimais beaucoup cet homme, c'était un très bon pédagogue. Puis, le cours débuta. La barre fut horrible. Devoir supporter mon reflet dans le miroir était insupportable. Comment avais-je pu en arriver là ? A chaque exercice, je repérais un nouveau défaut. Trop de graisse par ci, trop de graisse par là... Je levais ma jambe avec énergie sur le côté, je voyais du gras qui pendouillait sous ma cuisse, qui tremblait encore alors que mon mouvement était arrêté. Quelle honte ! Ma pire honte ? Mon poids sur la balance ce matin-là. 71 kilos ! Plusieurs fois, le prof me lançait « Alors, on a mal dormi ? », « Pas très en forme ce matin dis-donc ! ». Tu m'étonnes, je devais avoir l'air si molle avec toute cette graisse. Je fu soulagé lorsque l'on passait au milieu.
J'ai encore eu droit 2 ou 3 fois à ces répliques, mais la suivante, je ne la supporterai pas. Le prof s'approcha de moi, me prit par les mains, et les secoua en me parlant comme à une enfant : « Il faut que tu te réveilles, Camille ! » J'ai violemment lâché ses mains, et suis sortie de la salle en lui disant : « C'est bon là, je suis réveillée ! ». Je sentais des vingtaines d'yeux fixés sur moi, c'était humiliant. Je me réfugiais dans les vestiaires pour pleurer, seule. Et je priai pour que personne ne vienne s'en mêler.
Le reste de la semaine se passa pour ainsi dire assez normalement. Je ne me mis plus devant le miroir au studio de danse, je me mettais là où je ne pouvais pas me voir. Le vendredi, j'étais impatiente, les cours me paraissaient interminables. Une fois la journée achevée, je filai en direction de la gare, m'acheta un simple sandwich au poulet avec un petit paquet de biscuit, et sauta dans mon train direction Paris. Je rejoignais enfin mon petit ami, et ça allait me faire du bien. Samedi, sa famille organise une fête pour l'anniversaire de son père et de sa sœur. L'idée de m'amuser m'enchantai, mais j'angoissais déjà d'imaginer tout ce buffet de nourriture, j'avais peur de ne jamais m'arrêter. Le soir venu, j'étais très heureuse de revoir à nouveau Céline, la belle mère de mon petit copain. Cela faisait déjà deux mois que nous ne nous étions pas vues, et j'aimais discuter avec elle. Je me sentais comprise. Bien sûr, je ne lui parlai pas de cette honte de mon corps et de mon poids. Je n'en parlais à personne, sauf à mon copain. Que me répondrai-t-on ? Simplement que je n'ai qu'à faire un régime, faire en sorte de changer, si je ne me plais pas. Et tout ça je le savais bien sûre. Et j'avais déjà essayé maintes et maintes fois. Une fois, j'avais même cessé de manger pendant 3 jours. Mais bien sûr, je m'étais empiffré comme un cochon, et j'avais repris le double de ce que j'avais perdu.
La soirée commençait très bien en tout cas. Je me chassai ces idées de la tête et décidai de profiter, avec mon amoureux, sa famille et ses amis. Je m'entendais plutôt bien avec tout le monde, c'était une bonne chose. Tout le monde dansait, je m'amusais vraiment, avec le garçon que j'aime plus que tout au monde. Je m'assis un moment, et mon regard se posa sur la table. Il y avait pleins de biscuits apéritifs, des chips, des bonbons, des petites saucisses feuilletées... Je me dis que je pouvais me permettre après tout, c'est la fête, c'est le weekend, je peux profiter autant que tout le monde non ? Je picorai alors quelques saucisses, puis quelques chips, et aussi des carottes crues. Sans excès, jusque-là, tout allait bien. Et je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans ma tête d'un seul coup... Mais je me mis à penser à toutes les calories que j'avais ingurgitées durant ce début de soirée.
- Tout va bien mon cœur ?
Mon copain avait repéré mon visage, un peu triste. Il voit toujours tout. Comment fait-il ?
- A peu près, lui répondis-je.
De toute façon, je ne pouvais pas lui mentir, premièrement parce qu'il le remarquerait immédiatement, mais surtout parce que je n'en étais pas capable. Je l'aime trop pour ça.
- Qu'est-ce qu'il y a ? insista-t-il.
- Je me sens mal avec mon corps, j'ai honte...
- Mais tu es parfaite pour moi ! Je t'aime comme tu es, et je t'aimerai toujours, peu importe ton poids.
Cette phrase me rassura. J'avais peur de le dégoûter, qu'il ait lui aussi, honte de moi.
- Allez mon cœur, ça va aller, profites, regarde tout le monde s'amuse !
Il avait raison. Alors je me leva pour retourner danser. Je mangeais encore quelques biscuits, quand une idée me vint. Sans réfléchir, je me dirigea vers les toilettes, et me pencha au-dessus.
La suite au chapitre 2...
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Un poids plume
Historical FictionCamille, 20 ans, fait ses études dans le domaine de la danse. Des démons la rongent depuis quelques années, elle se déteste. Mais que faire lorsqu'ils réapparaissent sans prévenir, et de plus belle ? Comment réagiront ses proches ? Jusqu'où est-elle...