« Plusieurs témoins te placent au stade, le soir où Amanda Harper a disparu. »
Camille détestait la salle d'interrogatoires. Il y faisait toujours juste trop chaud pour mettre une veste, mais juste assez froid pour que ce soit inconfortable. Il y faisait juste assez sombre pour rendre ses traits menaçants ; ce qui lui brisait le cœur lorsque le témoin était terrifié, et lui demandait sa meilleure poker face en face de témoins hostiles qui devenaient terrifiants.
« Je vais avoir besoin que vous me racontiez dans le plus grand détail tout ce dont vous vous rappelez de ce soir là. »
« Vous êtes nouveau en ville, pas vrai ? »
Camille détailla une fois de plus l'adolescente en face de lui. Son dossier indiquait qu'elle venait d'avoir dix neuf ans, pourtant elle en faisait beaucoup plus. Il voulu vérifier son nom sur les papiers que lui avaient donné ses supérieurs, mais il était illisible.
« Je n'ai vraiment pas envie de te traiter comme un témoin hostile. Si tu pouvais coopérer juste une seconde, on en aurait tous fini beaucoup plus vite. »
Elle était rachitique. Tous ses vêtements flottaient sur elle et Camille avait entendu son estomac hurler au désespoir à plusieurs reprises. Pourtant elle avait refusé le sandwich et le café qu'il lui avait offert. Dès qu'elle était entrée dans la salle, Camille avait su que celle là, elle allait poser problème. Son port de tête était arrogant et ses yeux sombres abattaient un à un les murs qu'il érigeait entre lui et le monde.
« Amanda est une musicienne. Elle devrait être de retour dans quelques semaines. »
« Je te demande pardon ? »
« Les musiciens reviennent toujours. »
« J'en suis très heureux mais ça n'avance pas l'enquête. Qu'est ce que tu as vu ce soir là ? »
« Pas grand chose. Je regardait l'entraînement en faisant mes devoirs. Il y a toujours beaucoup de mode dans ce coin. »
« On matte l'équipe de foot, hein ? » demanda Camille, une tentative désespérée d'établir une once de complicité entre lui et son témoin.
« Les cheerleaders, en fait. »
L'adolescente sembla se régaler du silence qui s'ensuivit. Camille raya mentalement ses options. Professionnel n'avait pas marché, amical non plus. Il adressa quelques insultes muettes au racisme institutionnel qui, vraiment, ne l'aidait pas. Elle était métisse, et visiblement accoutumée aux forces de l'ordre. Son badge et son flingue ne voulaient certainement rien dire pour elle, qui avait dû être habituée à l'injustice du système dès son plus jeune âge.
« Est-ce que tu as vu Amanda ce soir là ? »
« On a discuté, mais plus de deux heures avant l'heure présumée de sa disparition, et elle ne portait pas les vêtements décrits. »
Un rugissement organique ponctua sa déclaration.
« Pas de sandwich, vraiment ? » réitéra Camille. « On a des jambon-beurre. »
« Non, merci, vraiment. »
Sans son entraînement, Camille aurait sûrement manqué les signes de nausée chez l'étudiante lorsqu'il avait parlé de nourriture.
« Tu l'a revue après lui avoir parlé ? »
Elle hocha la tête.
« De loin, sur les gradins nord. »
« Tu ne l'as pas vu partir ? »
« C'est les gradins nord. » dit-elle comme si Camille venait de poser une question idiote, ce qui était le cas, mais il n'avait pas besoin de le savoir.
« Je suis pas sûr de comprendre. »
« Nouveau à ce point, hein ? » se moqua le témoin. « Non, je ne l'ai pas vu quitter les gradins. »
Camille commençait à s'exaspérer. Il lui tendit un bloc-note et un crayon de papier.
« Tu peux me dessiner la scène ? »
Elle soupira en roulant des yeux. Après quelques seconde, Camille regarda par dessus son épaule. L'étudiante s'était placée, au moyen d'une petite croix, sur les gradins nord-ouest, en face des cheerleader. Elle avait entouré les gradins nord et indiqué de plusieurs flèches très appuyées les mouvements d'Amanda.
« Elle est arrivée par la porte ouest, » commenta le témoin. « Elle est passé devant moi pour aller vers les gradins nord. On a discuté des examens et de ce qu'on allait faire après l'université pendant deux ou trois minutes. Ensuite elle est partie. Je l'aie vue à l'angle des gradins un tout petit peu plus tard et j'ai arrêté de m'en soucier. »
« Ça ne nous amène même pas à l'heure de sa disparition. »
« Qui a estimé cette heure ? »
« Greymoss. Tu le connais ? »
« Ambroise ou Sylvestre ? »
« Sylvestre. »
Elle émit un son prolongé entre ses lèvre, comme si l'implication de Sylvestre Greymoss expliquait tout. Ce qui était le cas, mais cette fois-ci, Camille était encore trop ignorant pour le savoir.
« Tu pense qu'on ne peut pas lui faire confiance ? »
Elle explosa d'un rire que Camille jugea surjoué.
« Il faut être un imbécile pour faire confiance à Sylvestre Greymoss. Mais il n'a pas menti intentionnellement. Il a juste une conception de temps... Décalée. » la témoin prit un air satisfait comme si elle venait de faire une blague particulièrement intelligente qu'elle savait que Camille ne comprendrait pas.
« Amanda a disparu, jeune fille. C'est peut-être sans incidence pour toi, mais sa vie est peut-être en danger. Elle est peut-être déjà morte. »
« Je vous l'ai dit. C'est une musicienne. Évidemment qu'elle est en danger. Mais ne vous en faites pas trop. Donnez lui jusqu'à la fin du mois et elle débarquera comme une fleur au poste pour déclarer qu'elle n'est plus disparue. »
Elle commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs, mais pas autant qu'il tapait sur les siens. Si Camille avait eu un peu plus de jugeote, il aurait été aussi terrifié de cette jeune femme aux yeux perçants qu'il l'était des grands criminels qui l'avaient précédée sur la chaise sur laquelle elle se balançait.
« Rien d'autre à dire, je suppose ? »
Elle montra ses crocs plus qu'elle ne sourit.
« Dites à vos supérieur que la formation de leurs nouvelles recrues laisse à désirer. »
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Heamhynn & Persephone, ou la vengeance de Kore
FantasyLa SIOE, Southern Institute Of Everything, a la réputation de former les esprits les plus brillants du monde. Médecine, littérature, mathématiques, théâtre... Si une personne est au sommet de son art, il y a de grande chances qu'elle sorte de la SIO...