La jeune fille n'en peut plus du bruit. Il est partout. Il vient de l'aéroport près duquel elle vit, de sa mère qui lui crie de ranger sa chambre et de la télé qui hurle les nouvelles du soir. Le bruit aseptise, empêche la connaissance de soi, elle regrette d'être née dans un monde qui ne sait plus se taire.
Sa chambre, refuge contre un monde assourdissant, est dans un état lamentable. Elle le sait. Les livres jonchent le sol, jetés pêle-mêle sur le parquet. On n'en voit plus une once. Balzac, Flaubert, Sartre, Annie Ernaux et Delphine de Vigan deviennent intimes, les uns sur les autres. Elle aime ce sentiment. Savoir que les livres ont conquis un territoire, le sien, furtive victoire des mots contre le son et les images. Mais cette victoire a un goût amer: elle n'arrive plus à lire depuis trois mois. Elle a bien essayé, c'est vrai, de s'asseoir et d'ouvrir un Stendhal, un Hugo ou un Kafka. Mais elle n'y arrive plus. Impossible de se concentrer. Les cris de ses parents, les bruits de la vaisselle, les avions qui décollent toutes les cinq minutes. Ce monde empêche de lire.
A présent elle est dans la cuisine. Autant s'enivrer. Ici, c'est le paradis des bruits. Lave-vaisselle, radio, mixeurs, robots et mélangeurs chantent a tue-tête la gloire d'un monde oppressant. Ce monde n'est pas le sien. Elle rêve d'ailleurs.
Car oui, un jour la jeune fille ramassera ses livres, sa mère hurlera de joie, les mettra dans sa valise et marchera dix minutes jusqu'à l'aéroport. De là elle s'envolera vers un autre monde. Un monde différent. Où les livres sont maîtres et où le silence est d'or. Alors, elle criera enfin, créant son propre bruit, et vivra.
