La nuit dépose sur mes joues des claques cinglantes à chaque bourrasque de vent. Les panneaux lumineux d'enseignes me mènent à la tanière... J'arrive à l'entrée en quelques pas. La queue est toujours aussi longue pour parvenir aux portes. D'aussi loin que je me souvienne, quand je me manifestais, la foule a toujours afflué chaque soir. Déprimant. Je marche d'un pas assuré en dépassant tout le monde par la droite de la file. Personne ne me réprimande, je me demande encore pourquoi j'ai cette faveur.
Les deux molosses qui gardent l'accès sourient en me voyant débarquer. Mon visage qui se voulait fermé au départ fait naître un petit sourire en coin qui se veut charmeur sans y penser. Elles me saluent et me font part de leur mécontentement quant à mes venues qui s'étalent de plus en plus dans le temps. Je plaisante sur le fait que j'ai pas mal de travail et les fais rire comme à mon habitude. Elles vont finir par me dire une nouvelle fois à quel point elles tombent sous mon charme et moi... ferai mine d'être flattée alors que toute cette mascarade ne fait que me blaser davantage à chaque fois que je viens. Elles me laissent le passage libre et c'est à ce moment que je leur soumets ma requête de laisser la petite hispanique, cinq mètres plus loin, entrer avec moi.
Je l'ai repérée dès mon arrivée, senti son regard insistant pendant que je bavardais avec les deux butches en doudoune qui m'encadraient.
- Toi là !
À ces mots la jeune brune au teint halé rougit car elle me voit la contempler. Ses amies, enfin celles qui l'entourent, s'agitent et piaillent. Des échos me parviennent comme quoi elles sont vertes que je l'ai choisie et lui murmurent de me suivre. Je la regarde, elle hésite, alors je lâche nonchalamment:
- Pas grave, ce sera pour une prochaine fois, un doux sourire s'effaçant quand je me retourne pour entrer.
- Attends ! J'arrive... dis-moi que tu n'as pas changé d'avis.
Je lui tends mon bras pour qu'elle accède avec moi à cet endroit qu'elle ne connaît pas malgré le nombre de fois où elle a dû patienter dans cette ruelle. Elle me remercie de l'avoir fait entrer en me plaquant soudainement contre le mur du vestibule qui mène à l'antre de la bête. La musique bat au rythme de son pouls, je le sens lorsque j'attrape ses poignets et la retire en douceur de moi. Elle commence à baisser la tête et balbutier de plates excuses en me suppliant de croire que c'est la première fois qu'elle agit de la sorte.
- Tu es contente, je peux le comprendre mais tu devrais plutôt aller te défouler sur la piste, plaisantais-je.
Elle est si honteuse qu'elle n'en bouge plus, je sens qu'elle a envie de disparaître.
- Hey, dis-je en relevant doucement son menton pour voir ses yeux. Ça n'a rien à voir avec toi, je veux juste que tu t'amuses. Je ne suis pas là pour ça ce soir mais sache que tu es très belle. Fais attention à toi, plusieurs tigresses vont vouloir te sauter dessus.
Je ris légèrement et elle se détend peu à peu. Je lui tends à nouveau mon bras et nous entrons dans la salle principale. En effet, ce lieu est composé d'un grand espace où l'on peut danser et se poser autour de tables basses en périphérie. Ensuite vient une alcôve où se trouve le bar avec de hauts tabourets souvent désertés. Et enfin la backroom... Pas besoin de spécifier ce que c'est, juste de dire que la lumière y est quasi inexistante et qu'il faut passer par là pour aller aux toilettes.
Ses yeux sont ceux d'une enfant qui découvrent ses cadeaux de Noël sous le sapin, j'en souris de voir son innocence... Bientôt déchue malheureusement pour elle.
- Je te laisse ici, si tu me cherches je serai au bar là-bas. N'hésite pas si tu as un souci.
- Mais...
- Non. Amuse-toi s'il te plaît.
Je pars vers l'escalier de gauche en ne me retournant pas mais imaginant son petit regard perdu et empli d'appréhension. Et j'entends sa petite voix s'étouffer dans le brouhaha de la fête qui bat son plein.
- Je ne connais même pas ton...
Je pense que la fin était prénom, et statue sur le fait qu'il est mieux pour elle de ne pas savoir en amorçant ma descente vers les tabourets illuminés de façon à créer l'arc-en-ciel.