Elle avait parfois fait de merveilleuses trouvailles sur les vide-greniers. Mais c'était avant, c'était au début de cette mode. Le genre de déballages que l'on trouvait maintenant ressemblait plus à une annexe de déchetterie qu'à un filon de raretés inestimables.
Désormais elle explorait les demeures de défunts avant leur mise en vente. Les promesses étaient plus grandes et les profits plus juteux. C'est ainsi qu'on la voyait déambuler de la cave au grenier. Elle farfouillait dans les caisses à la recherche d'objets précieux ou insolites, ouvrait des meubles, les inspectait. Elle examinait aussi les tableaux, qui sait, peut-être tomberait-elle sur une toile de maître. Les lampes, la vaisselle, les bibelots, tout passait au crible. Elle savait trouver les pièces anodines en apparence qu'elle achetait une bouchée de pain et elle revendait huit à dix fois plus cher.
Les lunettes sur le bout de son nez, elle feuilletait un vieux bouquin aux pages jaunies, relié de cuir et de ferrures. Une belle pièce assurément ! Elle le tendit à Georges, son fidèle homme à tout faire, pour qu'il le mette de côté avec le reste. Un vase d'opaline eut droit au même traitement. Sur un guéridon, une petite boite, pas plus grande qu'un paquet de cigarette, suscita son intérêt. C'est avant tout la matière qui l'intrigua, une matière lisse, noire, satinée, qui n'était ni du bois, ni du métal. Elle tournait l'objet entre ses doigts, le soupesant, l'examinant sur toutes ces faces. Mais était-ce bien une boîte ? On ne voyait pas de relief, pas de serrure ou de charnière. Il n'y avait aucune marque, aucune estampille. Rien. Juste un bloc lourd, lisse, dense, et légèrement tiède. Elle n'en voyait pas trop l'usage, mais il lui plaisait. Elle poursuivit l'inventaire de la maison, confiant à Georges ce qu'elle souhaitait conserver, sans se dessaisir de cette découverte.
Vint le moment de faire les comptes et de faire estimer son butin par l'huissier. Elle négocia le lot à la baisse, comme à l'accoutumée. Elle l'interrogea sur l'objet dont elle ne se départissait pas. Un peu petit pour un presse-papier ! Peu convaincue, elle s'informa sur l'ancien propriétaire, un explorateur extravagant et solitaire qui avait fini par perdre le nord. Un comble ! Il était rentré d'expédition tout tourneboulé, parlant on ne sait trop quel galimatias. Quant à l'objet, aucune idée, ramené d'un voyage, peut-être.
Qu'importe la brocanteuse ne voulait plus s'en séparer, Il lui était brusquement devenu indispensable. Elle en devint même toquée. Il ne la quittait jamais, la nuit comme le jour. Sa douce chaleur irradiait et l'avait comme envoûtée. Si par malheur il lui arrivait de l'oublier sur la table et de s'éloigner, son pouls s'accélérait et elle partait dans des délires amphigouriques. Elle était littéralement ensorcelée.
Ce n'est que bien plus tard, qu'on découvrit qu'il s'agissait d'un bloc minéral radioactif d'origine météoritique provoquant une addiction inévitable conduisant à une folie irrémédiable. Notre brocanteuse y avait elle-même succombé et avait fini ses jours en hôpital psychiatrique.