Faire son deuil

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                     L'alarme du réveil matin sonne de toute son intensité enivrant la pièce de ces notes tonitruantes, insistant,il finit par atteindre son but en extirpant de son sommeil le corps encore allongé sur le lit. Agacée par la sonnerie infernale de l'appareil, une main se saisit du boîtier et arrête l'alarme, au passage, cette main ramasse le téléphone posé sur la table de chevet, l'apporte à ses yeux et lit: <<lun, 16 déc ; 6:30am>>. Le corps allongé reprend contenance, se lève, franchit les quelques pas qui le sépare de la porte, traverse le petit couloir et pénètre une pièce obscure où le jour perce de sa lumière des rideaux épais de couleur rose qui cachent les battants de fenêtre de la dite pièce pour s'y insinuer, la personne à la porte s'avance vers la fenêtre, défait le loquet et pousse les battants pour laisser apparaître le jour qui avait chassé l'obscurité de la nuit et celle de la chambre. Elle contemple le jour de l'œil d'un nouveau né à la découverte de toutes les sensations et émerveillements qu'il rencontre, puis elle scande soudainement :
- Bella debout! L'interpellée émit un grognement d'agacement avant de se retourner dans son lit. Bella debout ou tu vas te mettre en retard pour le lycée !(continua t'elle).
- hmm... maman laisse moi dormir stp, c'est les vacances. (Fit la dénommée)
- oh que non ce ne sont pas les vacances petite paresseuse. Allez debout. Elle accompagna sa parole d'un geste et retira brusquement la couverture du corps de la paresseuse qui réagit instantanément en se couvrant la tête d'un oreiller.
- allez je te laisse une minute pour reprendre tes esprits et te lever. Elle sortit de la chambre de sa fille et se rendit à la douche effectuer ses gestes quotidien d'hygiène matinaux. Elle ressortit après quelques minutes totalement rafraîchit et sursauta de surprise quand elle tomba nez-à-nez avec sa fille adossée contre le mur, une serviette sur l'épaule droite, les yeux à moitié clos et les cheveux dont les mèches étaient clairement en désaccord.
- tu m'as fait peur (lui dit-elle). Et sa fille entra à son tour dans la douche et referma la porte derrière elle. Voilà déjà deux semaines que le corps de Anabella Assin était couché dans une boîte en bois massif à six pieds dans une fosse de terre et que sa mère continuait de la faire vivre dans sa tête mais sans moins négliger, dans son cœur également. En effet, elle matérialisait sa fille par la simple force de son esprit comme si cette dernière avait encore sa place dans le monde des vivants; elles se parlent, se disputent, rigolent, déjeunent, etc. Jamais l'expression "vivre dans nos pensées et nos cœurs" ne fut si réelle. Et , personne ne soupçonnait que Béatrice traversait l'une des étapes les plus difficiles du deuil : le déni. Bella finit par sortir de la douche, s'apprêta dans sa chambre et vint prendre le petit déjeuner avec sa mère.
- alors, tu vas faire quoi aujourd'hui ? (S'enquit Bella qui prit place face à sa mère)
- oh je sais pas trop... bouquiner ou regarder la télévision. En tout cas profiter de mon congé_L'hôpital avait octroyé un congé à Béatrice suite à la perte de sa fille, afin qu'elle s'en remette et le psychologue de l'hôpital lui avait même proposé son aide pour surmonter cette épreuve difficile mais elle refusa poliment sa proposition_. Elles finirent leur petit déjeuner et Bella gratifia sa mère d'un baiser sur la joue et s'en alla pour l'école. Quant à Béatrice, elle s'occupait de débarrasser et s'adonner aux différentes tâches ménagères qu'incombent une maison.

                         Il était environs dix heures du matin, lorsque, la maîtresse de maison emprise à sa lessive  hebdomadaire, entendit sonner son téléphone, elle se précipita donc sur celui-ci, ne reconnaissant pas le numéro qui s'y affichait, elle répondit tout de même avec une pointe de certitude quant personnage au bout du fil ;
- allô (fit-elle)
- oui, allô. Madame Assin ?
- oui. À qui ai-je l'honneur ?
- je suis André Sotin, présentateur de l'émission [•••]. Madame Assin, je vous contacte car j'aimerais vous inviter sur notre plateau pour entendre votre témoignage suite à l'épouvantable tragédie qui s'est abattue sur vous. Béatrice n'y réfléchit point et fit glisser son pouce sur le bouton rouge imposant sur l'écran.
- encore un journaliste qui me sort ses âneries (se dit-elle tout haut). Et elle retourna vaquer à sa tâche inachevée. Elle s'acharnait au rangement, au pliage, au nettoyage et au cuisinage. Un peu plus tard ce jour-là aux alentours de quatorze heures, elle était affalée dans son canapé à attendre le retour de sa fille, quand, on sonna à sa porte, elle se leva dans tout l'agacement dont son corps endolori pouvait encore se permettre le caprice, et alla ouvrir à son invité indésiré. À l'instant où elle ouvrit la porte, elle découvrit deux femmes plantées à son seuil, elles étaient l'une devant l'autre, d'âges plutôt similaires mais des tailles marquées par la différence : la femme devant était plutôt petite de taille, les épaules recourbées, recouvertes d'un manteau noir qui lui tombait au-delà des genoux et laissait découvrir des chaussures en cuir noir, sa chevelure noire était emprisonnée dans une barrette et la femme derrière était plus grande, des traits vieillis, une courte chevelure grisonnante, une veste noire ceinturée à la taille sur une jupe kaki lui coupant les genoux découvrant ses jambes étouffées dans des collants neutres et des chaussures en daim marron.
- bonjour (lança la femme de devant), je m'appelle Marie et voici Betty (présenta t'elle en faisant un geste dans la direction de la dénommée) nous sommes les représentantes de l'association "Nos Vies Après Eux"....
- Nos... Quoi? (Demanda Béatrice dubitative)
- "Nos Vies Après Eux".
- et qu'est-ce que c'est ? (Questionna t'elle avec le désarroi marqué sur son visage déjà froissé dans une expression d'incompréhension)
- c'est une association d'aide aux parents qui ont perdus leurs enfants. Nous vous avons cherchée depuis le jour où nous avons eu vent de l'affaire par le journal télé.
- qu'est ce que vous me racontez ? Je ne suis pas une mère endeuillée.
- oh pardon (fit Marie avec une gêne indéchiffrable)... Nous avons pensé que vous étiez Madame Assin. Vraim....
- je suis Madame Assin.
- oh ! (Firent les deux représentantes en se regardant), et bien alors nous ne nous sommes pas trompées, c'est bien vous Madame Assin qui a perdue sa fille récemment.
- quoi! Non ! Mais que dîtes vous là ? Ma fille est en vie et d'ailleurs elle va bientôt rentrer des cours. Les deux représentantes se jetèrent un unième coup d'œil, l'étonnement se lisait sur leurs visages.
- écoutez Madame Assin (entreprit Betty qui n'avait point dit mot depuis ) dans notre association nous aidons justement les parents dans votre situation, car il est clair que vous êtes encore en pleine étape de déni, vous nier catégoriquement le décès de votre fille mais cela ne vous aidera pas. Béatrice écoutait ce que son interlocutrice énonçait et à chaque mot elle sentait une irritation clairement provoquée par les propos de l'autre ;
- maintenant c'est à votre tour de m'écouter ! Depuis plus d'une semaine je reçois des appels de chaînes de télévision locales qui veulent que je leur donne une interview quant à la prétendue mort de ma fille et maintenant je me fais emmerder par deux enquiquineuses qui me rebate le même discours. Alors là non! Ma fille est quelqu'un de très bien qui a déjà assez de problèmes comme ça avec ses camarades au lycée pour en rajouter avec une bande de fêlés qui veulent encore plus lui pourrir la vie. Après son monologue, elle fit claquer la porte au nez de ces deux visiteuses et retourna à son canapé en grommelant son indignation. Les deux femmes de l'autre côté de la porte restèrent abasourdies par le comportement excessif de Béatrice, mais elles lui passèrent son mauvais caractère car elles savaient qu'elle traversait une période plus que difficile dans sa vie de femme mais surtout, de mère. Elles glissèrent une carte de visite par le bas de la porte et s'en allèrent comprenant clairement le message de l'acte qu'avait posé Béatrice. Une bonne vingtaine de minutes après la visite des représentantes de l'association pour les parents endeuillés, Bella fit son apparition ;
- c'est moi (dit elle pleine d'entrain). Sa mère bondit du canapé et courut vers elle pour la couvrir de son amour maternel. Bella se débattit pour se libérer de la prison de baisers de sa mère et alla à sa chambre pour se décharger du poids de sa journée et, comme toutes adolescentes lambda, s'affaler sur son lit le téléphone en mains. Sa mère se rapprocha de sa chambre, toqua à la porte et n'attendit guère l'approbation de la propriétaire des lieux et entra.
- alors, c'était comment ta journée ? (Questionna Béatrice en s'asseyant au bord du lit)
- oh! Fatiguante !(répondit-elle dramatiquement)
- hm... Seize ans et déjà si pommée.
- notre prof de maths nous a donné des exos infaisables, sans compter sur monsieur Halwell qui nous a assommé avec sa "joie de vivre" à l'anglaise. Ah oui madame Basch en allemand, c'est dingue comme avec elle on a l'impression d'être sur un camp d'entraînement militaire. Ensuite on a pas eut deux de répit... Bref ma journée n'était pas de tout repos.
- je vois ça. Mais maintenant ce que je vois jeune fille, c'est que tu dois faire ces fameux devoirs infaisables de maths.
- oh non! Maman... s'il te plaît.
- ce n'est pas négociable. Allez téléphone. Bella tira sa lèvre inférieure en signe de supplication mais sa mère ne broncha pas et récupéra le téléphone de sa fille malgré ses suppliques. Elle sortit de la chambre en laissant sa fille s'affairer à ses devoirs. Le reste de l'après-midi s'écoula sans que cela ne se remarque ni pour la mère ni pour la fille, toutes deux occupées à une tâche qui encombrait leurs esprits, c'est donc sans grand intérêt de leurs parts, que la nuit recouvrit la ville de son voile obscur. Il était plus de dix-neuf heures lorsque Bella se traîna au salon en se plaignant de la faim. Elle dînèrent à l'heure exacte où l'horloge affichait vingt heures. Après le repas, elles se mirent à débattre sur le programme télévisé de la soirée, ensuite s'en suivit une négociation rude quant à l'heure du couvre-feu de Bella, cette dernière voulant le prolonger d'au moins une heure, mais au final ce fut une négociation en sa défaveur et l'heure de son couvre-feu resta telle qu'elle était fixée. Dès que vingt et une heure trente fit son apparition par les aiguilles de l'horloge, Bella était obligée de céder sa place sur le canapé aux jambes de sa mère qui rêvait de les détendre depuis plusieurs minutes déjà ;
- au fait (lança Béatrice), je vais débrancher la box wifi comme ça, pas de discussion jusqu'à pas d'heure avec Becca.
- tu es sadique (lâcha la jeune fille dans une expression de dégoût). Minuit arriva avec le légendaire marchand connu de tous les enfants qui déversa son précieux sable sur la petite maison et la plongea entièrement dans un sommeil profond aux arômes de rêves enchantés.

prédateurs chassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant