Le nouveau Surnom

- Faites entrer la première personne, s'il vous plaît, cracha l'interphone de mauvaise qualité du secrétaire qui plissa douloureusement le nez devant l'appareil de mauvaise facture.

Il appuya un doigt sur le bouton vert, répondit par la positive, avant de reculer sa chaise et de se lever pour montrer le chemin à première à passer. Elle était assise sur le canapé velouté, un pied botté battant un rythme inaudible, et était en train de récupérer les peluches qui s'étaient déposés sur la viscose de ses manches colorées. Le secrétaire haussa un sourcil devant le mauvais goût certain de cet accoutrement. Un bref regard vers les autres hurluberlus qui patientaient lui appris que celle-ci ne sortait malgré tout pas du lot. Cette salle d'attente était remplie de personnes bien trop colorées, vêtues d'habits aux motifs tous plus moche les uns que les autres.

La femme leva ses yeux trop maquillés quand l'ombre du secrétaire la surplomba et elle cessa de se nettoyer. Il lui indiqua le bureau d'un geste de main fluide, et elle le remercia d'un signe de tête. Elle se leva, lissa sa cape une dernière fois et entra dans la pièce adjacente d'une marche décidée.

L'être derrière le bureau la salua, elle le salua à son tour, et s'assit quand il le lui demanda. Il regarda sa feuille de notes une dernière fois, vérifia que la photo qui y était agrafée correspondait à la femme qu'il avait devant lui. Yeux gris orageux et brumeux, lèvres oranges, joues pailletées, cheveux blonds platine.

- Bien. Vous êtes bien Natura ?

- C'est moi ! répondit-elle avec un grand sourire, de dents si blanches qu'elles auraient pu éblouir un pilote avion et causer un accident.

L'être plissa ce qui aurait été des lèvres s'il avait été humanoïde, et releva ses yeux (ou du moins les organes qui lui permettait de voir) vers la candidate.

- C'est... votre vrai nom ?

Elle parut surprise, et un peu outrée.

- Non. Plus aucun super-héros ne prend son vrai nom comme nom de scène depuis l'incident de Roland.

- Ce cher Roland...

Ils échangèrent un hochement de tête (et de ce qui aurait pu être une tête) en souvenir de ce vieux héros, parti trop tôt.

- Donc c'est un surnom.

- Oui.

- C'est nul.

Natura tressailli, choquée.

- Wow, ok.

L'être soupira.

- Vous représentez l'espoir des gens normaux, vous savez. Lorsqu'un vilain s'attaquera à notre ville....,jeudi, normalement, ajouta-t-il en regardant son emploi du temps, ce sont des gens comme vous qui devront la sauver.

- C'est pour ça que je suis là. J'aimerai officialiser ma situation de super-héroïne.

- Pas avec un surnom, pareil.

Elle croisa ses bras gantés jusqu'au coude sur sa poitrine où était dessiné un arbre énorme, défiant toute gravité sur sa poitrine presque inexistante.

- Et qu'est-ce qu'il a mon surnom ?

- Il est nul.

- Mais encore ? rétorqua-t-elle avec une voix bien trop aigue.

- Il fait serviette hygiénique, votre nom, voilà ! Marque de croquette pour chat, à la limite.

Natura plissa des yeux, et heureusement pour l'être que lancer des flammes avec ses yeux ne faisait pas partie de ses pouvoirs.

- Et comment voulez-vous que je m'appelle, hein ? Je puise mes forces de la nature !

- Oui, et c'est très bien tant que vous n'allez pas vous battre dans des zones industrielles.

Il colla ses doigts.

- Sauf qu'avec un nom pareil, les vilains comprendront immédiatement d'où viennent vos pouvoir, et ils pourront s'en servir à leur avantage.

- Allez dire ça au dernier qui a essayé de voler mon walkman dans la rue.

- Celui auquel vous avez donné un coup de tête ? Cela n'avait rien à voir avec vos pouvoirs.

- Exactement. C'était plutôt cool, si on oublie la bosse que je me suis trimballée pendant trois jours.

- Ecoutez.

Il prit une grande inspiration en s'enfonçant dans son fauteuil et pointa un de ses nombreux indexes sur la jeune femme.

- Vous avez les pouvoirs, et nous avons l'imagination. Nous ne sommes pas que des fonctionnaires qui vous enregistrent dans nos dossiers, nous sommes là pour vous aider.

- Et qu'est-ce que vous proposez ? demanda Natura un sourcil levé, et l'autre agacé.

- Pourquoi pas quelque chose comme ...Dulra ? proposa-t-il les mains levés et les doigts un peu écartés, comme si le mot était écrit dans le ciel.

Natura hausse les épaules.

- Est-ce que vous venez de traduire Nature dans une autre langue ?

(Les êtres étaient en effet polyglottes, et c'est pour cela qu'ils étaient presque tous fonctionnaires)

- Avouez que c'est mieux.

- Bof.

- Que pensez-vous de... Narava ?

- ça fait crème pour les mains.

- Nadar ?

- ça fait alarme de mauvaise qualité.

- Et प्रकृति ?

- Je ne peux même pas lire ça !!

Elle se pinça l'arête du nez.

- Je vous laisse une dernière proposition. Après ça, je démarre officiellement comme Natura.

- ...Luonto.

La réplique bien sentie qu'elle s'apprêtait à lâcher resta bloquée dans sa gorge couverte de paillette. Sa bouche orange se déforma dans une moue d'abord pensive, puis impressionnée.

- C'est...pas mal.

- C'est finnois.

- Ceci explique cela.

- Nous sommes donc d'accord sur Luonto ? demanda-t-il, bien qu'il tenait un tampon « APPROUVE » dans sa main.

Elle hocha la tête.

- Va pour Luonto.

- Parfait ! C'était un plaisir, super-héroïne Luonto.

- De même.

Ils se serrèrent la main, et l'être fit appeler le deuxième héros. Il regarda sa feuille alors que ce dernier prenait place dans le fauteuil. « Capitaine Tourniquet ».

Il soupira. Décidemment, le travail de fonctionnaire était loin d'être aisé.