Assez d'espoir

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      C'était en permanence

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      C'était en permanence. Tous les jours, toutes les heures. On l'insultait n'importe quand, dès qu'on voyait un peu ses bourrelets en-dessous de son t-shirt, ou qu'un endroit était trop petit pour qu'il s'y faufile. Les garçons jouaient de leurs muscles devant lui, les filles le montraient du doigt. Tous le raillaient, aussi loin qu'il s'en souvienne.
      Il est en colère. En colère contre la société. La même qui veut que tous les mâles aient un corps musclé, svelte, fort, viril. Qui ne veut pas de son acnée ou de ses courbes disgracieuses.
      La même aussi qui affirmait que ses courbes disgracieuses étaient dûes à la malbouffe et au manque de sport. Mais personne ne l'a jamais écouté. Alors il ne sert à rien de dire qu'il ne mange pas moins bien que les autres. Que dès qu'il mange quelque chose, il prenne du poids. Ça n'est pas de sa faute après tout, c'est simplement la génétique. C'est la génétique qui le fait grossir pour chaque écart, c'est elle qui lui a érigé cette ossature large, {qui l'empêche de faire du sport sous peine de perdre haleine au bout de dix mètres courus}, et qui a mis toute cette satanée graisse autour de son coeur.
      Il aurait aimé qu'au moins une fois dans sa vie quelq'un se mette à sa place. Que ce quelqu'un se rende compte à quel point être gros était une tâche harassante. Que chaque pas était un effort fournit, qu'il lui fallait un périmètre autour de lui pour ne pas risquer de bousculer quelque objet, que faire du sport était un supplice. Il aurait aimé que ce quelqu'un réalise à quel point c'est frustrant de courir. Car à peine les dix mètres dépassés, ses jambes sont lourdes, son coeur s'emballe, il peine à respirer.
      Personne ne l'a jamais soutenu. Aux réunions de famille, le regard horrifié de ses oncles et tantes. "Est-ce qu'une fille voudra de lui?" "Il ne vous coûte pas trop en nourriture, j'espère." "C'est qu'il a encore grossi." Les phrases qu'il fait mine d'ignorer, mais qui blessent toujours autant.
      Sa seule consolation est la nourriture. Aussi, il s'empiffre. Il s'empiffre pour combler ce vide grandissant au creux de son estomac.
      Mais il a oublié de se faire vomir aujourd'hui. Il se réveille dans une pièce blanche, aux odeurs de médicaments et de désinfectant. Un médecin vient prendre de ses nouvelles, lui annonce pourquoi il est là. La réponse ne l'étonne même pas. Pic de glycémie. Sa mère est horrifiée, se demande comment elle a fait pour ne pas s'apercevoir du mal-être de son enfant. Mais il sait que ce ne sont que des paroles en l'air. Que dès qu'ils seront rentrés, elle continuera sa vie, comme si rien de tout cela ne s'était passé. Il a honte, mais sait qu'il va recommencer. Car l'être humain ne se rend compte de son bonheur qu'après l'avoir perdu. Alors, cette fois, il ira jusqu'au bout.
      Dix heures quinze. Il est gardé en observation depuis plusieurs jours maintenant. C'est bientôt l'heure de la pause des infirmiers, sa mère est rentrée chez eux, il a des médicaments. Tout est prêt. Il les injectera dans sa perfusion, quand tout le monde aura le dos tourné. A dix heures vingt.
      Dix heures dix-neuf. Il a une colocataire maintenant. Dans ses âges, grande, belle, un regard plein de chaleur et un sourire timide. Ça sera pour une autre fois, il ne peut pas la laisser témoin de ce qu'il va faire. Ils discutent pour passer le temps. Elle est d'une autre ville. Une grande maladroite, à ce qu'elle dit. Elle a voulu mettre fin à ses jours car complexée depuis toujours par ses jambes démesurément grandes. Vraiment ? Elle? Pourtant elle a un visage si innocent...
      À force de discussion, un lien se tisse entre les deux jeunes. Finalement, ces différences font d'eux des êtres uniques. Pas besoin d'être parfait, si on est soi-même. Et si on a l'impression de ne pas être adapté à ce monde, c'est qu'il n'est pas adapté à nous. Vivons selon nos règles, la vie est trop courte pour être dictée. Délions les liens que la société a inventé pour entraver nos mains. L'être humain est beau. Dans toute sa complexité, dans toute sa pureté. Le physique n'a d'importance que pour les êtres dont le coeur et la tête sont vides de toute réflexion. Tout compte fait, il n'a plus vraiment envie de quitter ce monde aujourd'hui.

19/01/2020

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 06, 2020 ⏰

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