Je vais raconter mon histoire, l'écrire, pour peut-être, enfin m'en libérer. Tout commence il y a longtemps alors que je n'étais qu'un enfant. Je me baladais avec mon grand-père sur la plage, près du village où il avait grandi, Les Goudes. Une légère brise soufflait et il faisait bon. Je courais, heureux et insouciant, quand je vis une plaque métallique. Elle semblait glacée. Des noms y étaient inscrits. Quatre noms. Bien entendu je m'empressai de demander à mon grand-père de quoi il s'agissait. Il me regarda alors d'un air triste puis me conta l'histoire :
"- En 97, ou 98 peut-être, quatre jeunes scouts partirent en mer en fin d'après midi sous la décision de l'abbé chargé de leur surveillance. Le temps était mauvais et aucun n'avait de connaissances en navigation. Ils perdirent rapidement le contrôle du bateau. Mais l'abbé n'appela à l'aide que plusieurs heures plus tard. Personne n'a jamais su pourquoi il avait tant tardé. Les enfants étaient à présent en grand danger et ils étaient seuls en pleine mer. Un plaisancier tenta de leur venir en aide mais ce fut vain. Tous périrent. L'abbé, responsable de cette tragédie ne fut jamais puni. Cette plaque honore les victimes, et nous, habitants des Goudes, nous ne les oublierons jamais. Souviens-toi d'elles Samuel, leur vie a été si courte..."
Je me souvient que cette histoire m'avait terrorisé et que je n'avait plus jamais voulu retourner sur cette plage. Aujourd'hui, plus de dix ans plus tard, la baie m'effraie toujours autant. Mais, je ne sais pourquoi, ce soir-là, alors que je sortais d'une fête au "20 000 lieues" mes pas me guidèrent jusqu'à cette plage, cette plage de malheur où je n'étais pas revenu depuis si longtemps. J'étais épuisé et chaque pas me pesait, mais j'avais une irrésistible envie d'aller là-bas. Une envie qui émergeait de mon esprit embrouillé par l'alcool. J'arrivai alors sur la plage en chancelant.
La nuit était épaisse; je n'y voyais pas à trois pas. J'entendais les vagues s'écraser sur les rochers; la tempête semblait faire rage et pourtant seule une légère brise soufflait. C'était impossible ! Je ne pouvais y croire, cela était si étrange. C'était sans doute la fatigue et l'alcool qui me jouaient des tours. Afin de me remettre de ce malaise, je décidais de m'asseoir sur la sable et de fermer les yeux, j'était si fatigué...
Tandis que le vent passait près de moi, je crus l'entendre me souffler :
"- Pars ! Pars et ne reviens pas !"
J'ouvris brusquement les yeux et me relevai d'un bond. La plage était déserte j'avais du m'assoupir et rêver. Malgré tout, je ne pus empêcher ma gorge de se nouer, il faisait si sombre. Que pouvait-t-il bien m'arriver ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Mais j'avais un mauvais pressentiment, un de ceux auquel on ne réchappe pas, qui nous engloutit tout entier et nous fait sombrer dans la paranoïa.
Je me décidais alors à fuir lorsqu'une lueur attira mon regard. Elle sortait de l'eau, bleutée et irréelle. Je m'approchai, comme hypnotisé par cette merveille quand tout s'accéléra. La lumière devint blafarde, elle prit forme humaine et se divisa. Quatre enfants s'avançaient à présent vers moi.
Oh mon dieu ! Je crus mourir ! Je n'aurais jamais pensé pouvoir ressentir une chose pareille ! Une terreur abominable s'empara de moi. Tout mon corps trembla dans une secousse infernal et je tombai à la renverse. Les enfants, humains ou spectres, s'approchaient en murmurant. Je fermai les yeux, priant pour que ce ne sois qu'une illusion et me recroquevillai d'épouvante. Je ne pensai même pas à m'enfuir tant j'étais terrorisé. Leurs murmures grandissants semblaient crier à l'aide. Je les sentais de plus en plus proches et me risquai enfin, dans un élan de courage, à ouvrir les yeux.
Quelle folie ! Si j'avais su, si seulement j'avais su, jamais je n'aurais fait cela.
Sous mes yeux se tenait l'un des spectres.
Un enfant au regard triste, si triste ! Jamais je n'oublierai ce regard. Il me murmura qu'il aurait tant aimé être sauvé. Puis, les yeux plein de larmes, il me prit dans ses bras. J'en fus tétanisé. Il semblait être fait de glace et une sensation de froid atroce se répandit dans mon corps. Ses larmes s'écrasèrent sur mon torse, juste au-dessus de mon cœur et je crus que celui-ci allait geler.
Soudain, en un battement de cil, les quatre enfants disparurent et firent place à une brume glacée qui se répandit dans l'air. Pendant un instant je fus incapable de penser. Je me relevai comme un robot, puis je fus pris d'une indescriptible peur et partis en courant pour m'éloigner le plus possible de cette plage maudite.
Je ne sais pendant combien de temps je courus, haletant, comme un cheval au galop, sans savoir ou j'allais, la peur des morts me poussant à continuer, je tournai dans une ruelle puis une autre et encore une autre...
Enfin, je m'arrêtai hors d'haleine dans une petit rue tranquille. Je me laissai tomber sur un banc; c'était à peine si je tenais encore debout! Je devais rentrer chez moi au plus vite.
Mais soudain je réalisai que je n'étais jamais venu ici. Cet endroit m'était inconnu. Je me relevai et marchais dans les rues dans l'espoir de reconnaitre un lieu, une maison ou même un nom. Mais bien vite je dus me rendre à l'évidence: j'étais perdu ! Pendant près d'une heure, je parcourus les ruelles sombres cherchant quelqu'un pour m'aider. Mais il n'y avait personne, le quartier était désert. Et tandis que les larmes roulaient sur mes joues, je me rapprochai d'une petite maison. Il me fallait un endroit où passer la nuit.
J'étais à bout de force, chaque pas que je faisait me demander un effort surhumain Enfin je fus devant la porte de la maisonnette. Je n'en pouvais plus. Je tombai à genoux sans réussir à me relever. Je tendis mon bras, il fallait que j'y arrive ! La sonnette n'était qu'à quelques centimètres de mes doigts.
Mais ma main retomba, mon corps partit en arrière et ma tête se cogna contre le mur. Et puis plus rien.
J'ignore ce qu'il s'est passé ensuite. Je sais seulement que l'on m'a emmené à l'hôpital. Qui ? Quand ? Pourquoi ? On ne me l'a pas dit. Mais je me suis réveillé dans un lit.
Tous les évènements de la veille se mélangeaient dans ma tête mais tout était flou. Je me souvenais parfaitement des fantômes que j'avais cru voir mais vaguement de ma course dans les rues. J'avais trouvé l'explication de mes visions: l'alcool, la fatigue, sans doute m'ont fais délirer. En fait tout allait bien, j'allais rentrer chez moi et reprendre mes études comme si rien ne s'était passé. Car rien ne s'est passé.
Pourtant une petite voix dans ma tête me disait que plus rien ne serait comme avant. Mais j'étais déterminé à tout recommencer et à oublier cette illusion. Je devais quitter l'hôpital.
Je me redressai et m'assis sur le bord du lit.
Vertiges.
Maux de tête.
Nausées.
Je me levai, le sol était glacé.
Une sensation de froid intense me parcourut tout le corps. Pensant que c'était juste le carrelage, je n'y preta pas attention et retirai la chemise blanche que l'on m'avait passée sur mes habits durant mon sommeil.
Sans que je sache pourquoi, mon regard glissa vers mon torse. J'avais dû pâlir comme la mort! Je venais d'apercevoir, sur mon cœur, , une goutte d'eau, une larme de l'au-delà...

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La forme de l'eau
ParanormalSamuel, un jeune étudiant décide un soir, après une soirée un peu alcoolisée, de s'arrêter sur la plage des Goudes avant de rentrer chez lui. Mais un étrange évènement risque de lui faire regretter ce choix...