Et le petit ange s'était envolé

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Peut être que je n'aurai pas du t'écrire
Je ne sais pas pourquoi est ce que je l'ai fait. Quoique, au fond si. Pour te dire adieu.

Ne me déteste pas. Mon cœur s'agite dans ma poitrine à cette idée.
Ne te déteste pas non plus. Parce que je sais que tu vas en avoir envie. Mais tu n'en as aucune raison.

Je me souviens, je sais que toi aussi, de notre première rencontre. J'avais sept ans, toi huit. J'étais perdue dans la cour de l'école primaire. Et toi, tel un chevalier servant tu es venu me sauver. Tu m'as montré ma classe, m'as présentée à mon institutrice puis tu es parti, on aurait dit un léger souffle de vent. Je t'ai revu deux heures après, tu es venu me voir et je t'ai souri et tu m'as souri.

Ne me déteste pas de te remémorer ces vieux souvenirs pour tenter de t'amadouer.
Ne te déteste pas de ne plus pouvoir les partager avec moi.

Je me souviens de cette journée, quand j'avais neuf ans et toi dix. Cette sortie des classes faite de larmes et de promesses. Tu allais partir au collège, et moi j'allais rester ici, dans cette école primaire qui nous a façonnés. Nous nous étions promis de ne pas nous oublier. Et tu m'avais emmenée  dîner dans le parc, sous le saule pleureur, juste nous deux, sans nos parents, sans nos nounous. Tu avais tout préparé et tu étais si fier de me le montrer ! J'avais découvert, ce jour là, sous le saule pleureur, sur l'herbe humide et les paquerettes, ton talent pour faire des gâteaux au chocolat.

Ne me déteste pas de ne plus revoir ce saule pleureur avec son herbe humide et ses paquerette.
Ne te déteste pas de ne plus pouvoir me faire des gâteaux au chocolat.

Je me souviens de cette rentrée au collège, j'avais onze ans, toi douze. Cela faisait un an qu'on ne s'était pas vu. Et quand je t'ai aperçu, avec tes amis, dans un coin de la cour, loin des regards curieux des autres élèves, j'avais senti mon cœur se gonfler de joie, et de nostalgie. Allais-tu me reconnaître ? Tu m'avais reconnue. Je revois encore tes grands yeux étonnés s'arrondir quand tu avais compris que cette grande fille brune qui s'avançait vers toi, c'était moi. Tu m'avais prise dans tes bras et m'avais faite tourner tout autour de la cour. Après ça, il y a eu des rumeurs comme quoi nous étions en couple. Le soir même, tu m'as emmenée au saule pleureur, avec un gâteau au chocolat sortant du four sous le bras. J'étais si heureuse de te retrouver !

Ne me déteste pas de ne plus pouvoir avoir le cœur gonflé de joie et de nostalgie en te voyant.
Ne te déteste pas de ne plus pouvoir me faire tourner dans les airs.

Je me souviens, j'avais quatorze ans, toi quinze. C'était un beau mois de mai. J'étais en troisième et toi tu venais de passer au lycée. Je sais que tu te souviens de ce jeudi ensoleillé. Je m'étais énervée parce que tu t'étais moqué de moi avec un de tes amis. J'étais arrivée dans le bâtiment des secondes en hurlant. Tout le monde m'avait regardée bizarrement. Et toi, au lieu de partir rire avec les autres, tu t'étais mis à me hurler dessus. Je t'avais finalement envoyé un cahier à la figure, et c'est ce jour là que je me suis aperçue qu'on était des opposés. On ne s'était plus parlés durant un mois. Un long mois.

Ne me déteste pas de ne plus m'énerver.
Ne te déteste pas de ne plus recevoir de cahier de ma part.

Je me souviens, j'avais seize ans, toi dix-sept. Tu attendais les résultats du bac. Et tu priais parce tu voulais l'avoir pour partir ensuite ouvrir ton restaurant et quitter notre lycée. Je me souviens que quand ils sont tombés, c'est moi qui ai vu la réponse, tu avais trop peur. Et tu l'avais eu. Le bac en poche en ce qui te concernait, nous étions partis sous le saule pleureur, main dans la main.

Ne me déteste pas de ne plus t'annoncer les résultats du bac.
Ne te déteste pas de ne plus pouvoir me prendre la main.

Je me souviens de cet été, quand tu avais vingt-trois ans et moi vingt-deux. Quand tu étais revenu dans ton village, laissant ton bistrot à un de tes amis. Je me souviens quand tu es entré dans le bar. Quand tu as tapoté l'épaule du client en train de me draguer. Quand je t'ai reconnu. Quand mes yeux se sont remplis de larmes. Quand tu m'as faite passer par dessus le comptoir et que tu m'as embrassée. Quand j'ai compris que mes sentiments que je cachais depuis des années étaient partagés. Je me souviens de cette journée, comme si c'était hier. Peut être parce que c'était hier.

Je sais ce que tu vas dire Baptiste. Tu ne vas pas comprendre pourquoi je ne suis pas venue à ton rendez-vous hier soir. Je voulais venir Baptiste, mais j'ai préféré t'écrire cette lettre.

Tu sais Baptiste, on a toujours été complémentaires. Tu étais le blanc j'étais le noir. Tu étais la joie j'étais la tristesse. Tu étais la lumière j'étais les ténèbres. Tu iras au paradis je suis en enfer.

Je suis partie Baptiste. A jamais. Je le savais depuis longtemps. Cancer des poumons à un stade trop avancé. Baptiste, je t'aime, ne l'oublie jamais. Cancer ou pas cancer. Je t'aime comme je te hais. Je t'aime comme je me hais. Et si seulement tu pouvais savoir à quel point je me hais en écrivant ce texte. J'ai écrit cette lettre au passé. Mais Baptiste, ces trois mots, ils seront éternellement au présent, ils le sont depuis mes sept ans, quand tu m'as aidée dans la cour de récréation.

Je t'aime Baptiste

Ton petit ange

Le cri s'échappa des lèvres.
Les larmes coulèrent.
Les jambes se mirent en mouvement.
Mais c'était trop tard.
Et le petit ange s'était envolé.
A jamais.

Et le petit ange s'était envolé Où les histoires vivent. Découvrez maintenant