Jour 5 (3/3)

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Je tournai vivement la tête en direction de mon ami, perplexe.

-Tu veux dire Jenny ?

Il hocha doucement la tête, un léger sourire sur ses lèvres. J'étais stupéfait, ne m'attendant pas à une telle question. C'est alors que la vérité me frappa en plein visage. Mais bien-sûr, il devait probablement être jaloux ! La voilà, ma chance ! Je profitai de cette opportunité inespérée pour jouer un peu avec son esprit de compétition.

-Qui ne l'aime pas, j'ai envie de dire ! Elle est drôle, intelligente, adorable, et a un caractère bien trempé. En plus -entre nous- je la trouve carrément sexy. C'est une chance qu'elle soit célibataire !

-C'est vrai qu'elle est plutôt attirante...

-Complètement, tu veux dire ! Elle risque de ne pas rester seule bien longtemps...

N'en faisais-je pas un peu trop ? J'avais la nette impression de passer pour un amoureux acharné et de me ridiculiser. Mais je balayai rapidement ces pensées. Peu importe de quoi j'avais l'air, du moment qu'Alan mordît à l'hameçon. Ce dernier riait joyeusement sur son haut tabouret, ses jambes se balançant gaiement dans le vide. J'ignorais si c'était pour camoufler sa gêne, ou s'il trouvait mes propos absolument hilarants.

-Et tu comptes tenter ta chance, avec elle ?

Je fis mine d'être déconcerté.

-Eh bien, heu... Mais pourquoi cette question ?

-Tu traînes souvent avec elle, vous vous entendez bien, et j'ai bien vu que tu paraissais triste quand je t'ai annoncé que je jouais son morceau préféré.

Je n'avais à présent plus besoin de faire semblant d'être décontenancé, car je l'étais bel et bien. Comment avait-il pu se rendre compte de cela ? J'étais pourtant quelqu'un qui maîtrisait ses émotions à merveille... Alan devina mystérieusement le fond de ma pensée, et ajouta aussitôt, avec un clin d'œil :

-Cherche pas, j'ai un don pour déceler ces choses-là.

Mais quelle était donc cette sorcellerie ? Je ne sus quoi répondre, ébahi par les propos du jeune homme. Je prenais à présent conscience d'à quel point il pouvait m'être dangereux. Un individu capable de lire aisément les émotions parfaitement dissimilées des autres était la pire chose qui pouvait nous arriver, dans ce jeu. C'était comme si un télépathe participait à une partie de poker. Pour peu qu'il fût la Reine, nous risquions d'avoir de grosses difficultés à nous en sortir vivants. Je regrettais amèrement d'avoir tardé à faire pleinement sa connaissance.

-Bah, je vais peut-être tenter une approche, qui sait ? Après tout, elle pourrait bien me tomber dans les bras.

Alan explosa de rire.

-Je te déconseille d'être aussi sûr de toi. On ne sait jamais ce qui peut arriver.

Je crus enfin entrapercevoir l'ombre d'un indice, dans ce qui me semblait bel et bien être une menace. Je décidai de pousser la provocation à son paroxysme, tandis que je m'apprêtais à quitter la salle, la corde de ma guitare remplacée.

-Je me demande bien ce qui pourrait m'empêcher de la faire mienne, dis-je sur un ton arrogant.

Je retournai dans ma chambre, tout en espérant avoir assez attisé la jalousie de mon ami. Je n'avais plus qu'à patienter tranquillement jusqu'à ce qu'il fît un mauvais pas, et je saurais bien vite s'il était la Reine ou non. En attendant, la vigilance était de mise...

Je déposai ma guitare sur mon lit douillet, et regardai l'heure sur ma tablette. Dix-neuf heures et demie. Il était bien plus tard que ce à quoi je m'attendais. Le dîner devait probablement être prêt. Je m'installai volontairement près de Jenny dans la salle à manger, afin d'irriter encore plus le jeune blond. Je devais probablement exagérer à ce stade, mais, étrangement, l'idée de le rendre fou de rage m'amusait tel un enfant surexcité à Noël.

Queen of Cards (Version française)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant