Chapitre 1

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Cette fiction se déroule à la fin du chapitre  "l'Automate"  , du tome 3 de la série "La Passe Miroir" : Alerte aux spoils de mise. 

     Ophélie réprima un rire nerveux. Elle s'agenouilla, ignorant de son mieux la douleur que chaque geste ravivait sous ses bandages. Quand elle eut fini de rassembler ses feuilles, elle s'aperçut que Thorn ne bougeait plus. Vouté sur son tabouret, il tenait son casque radiophonique sans se décider à l'enfiler. Ses gantelets de métal luisaient sous les ampoules de l'Ordonnateur. Son regard était rivé sur Ophélie. Plus précisément, il était focalisé sur un point au-dessus de son visage. Ses sourcils s'étaient encore froncés d'un cran.

-Que vous est-il arrivé ? demanda-t-il d'un ton tranchant.

     Ophélie le regarda sans comprendre. Elle leva une main au-dessus de sa tête, essayant de toucher ce que Thorn fixait avec un tel regard. Sa main se glissa entre ses boucles folles sans rencontrer le moindre obstacle. Cependant, en agitant ainsi ses cheveux, elle provoqua la chute que quelques éclats de verre qui avaient échappé à sa vigilance

     Pas à celle de Thorn, apparemment.

     Il se leva de son tabouret, et fit un pas vers elle. Un peu honteuse de ne pas avoir pensé à retirer ces maudits éclats, Ophélie resta immobile, les joues en feu. Du bout des gantelets, Thorn en ramassa un et l'examina d'un peu plus près. Ses sourcils se froncèrent un peu plus, et son regard glissa sur l'animiste. Il attendait une réponse.

     Ophélie s'était figée. Elle n'avait plus envie de mentir. Que dire, de toute manière ? Aucun mensonge ne saurait expliquer pourquoi elle avait des morceaux de verre dans les cheveux. Baissant les yeux, elle murmura, résignée :

-Les autres apprentis avant-coureur. Ils me pensent responsables de la disparition de Mediana et de Miss Silence. Ils ont un sens bien à eux de la vengeance.

     A ses mots, elle sentit quelque chose se glisser sous un de ses gants. En levant la main, elle se rendit compte qu'elle saignait à nouveau. Certaines de ses plaies s'étaient rouvertes, et l'une d'elle avait visiblement réussi à se faufiler hors des bandages qui les comprimaient. Craignant de salir son uniforme, Ophélie releva la manche de sa veste et de sa chemise, sortit un mouchoir de sa poche et l'appliqua sur son bras couturé.

     Elle sentit alors un courant électrique sur sa peau. Cela faisait longtemps, très longtemps, qu'elle n'avait plus eut affaire aux griffes d'un autre dragon, mais cette sensation n'est pas de celles qu'on oublie facilement. En levant les yeux, elle ne vit qu'une seule chose : les yeux de Thorn, rivés sur les bandages qui dépassaient de son uniforme. Et dans ces yeux, l'éclat d'une colère froide.

-Avez-vous des preuves ?

-Aucune qui ne puisse convaincre Lady Septima. Ce genre de chose est strictement interdit à Babel, encore plus à la Bonne Famille. De toute manière, c'est ma parole contre la leur, et elle ne me donnera pas raison.

-Pourquoi vous infligez vous tout cela ?

     La voix de Thorn, d'ordinaire grave et froide, s'était faite menaçant et glaciale. Ophélie sut qu'elle ne pouvait plus répondre qu'elle fuyait ses parents. L'heure n'était plus aux fausses excuses. Après tout, la raison de sa présence n'était-elle pas évidente ? Pour quelle raison aurait-elle traversé le monde pour arriver, sous une fausse identité, sur une arche ou elle ne connaissait personne ? Pour quelle raison se serait-elle à ce point mise en danger ?

-Pourquoi ?

     Elle en avait assez ces non-dits. Assez de cette absence qui l'avait creusée pendant le temps qu'elle avait passé sans savoir où était Thorn. Assez de cette distance qui s'était installée entre eux depuis qu'elle l'avait retrouvé à Babel. Elle entendait encore la voix de Mediana, se moquant d'elle. Ça aussi, elle en avait assez.

     Avant de se dégonfler, faisant appel à toute la force de ses faibles cordes vocales, Ophélie répondit :

-Pour vous, Thorn. J'ai cherché, pendant deux ans, sept mois et dix jours l'endroit où vous pourriez être. Jusqu'à ce que je puisse quitter Anima sans être suivie par les Doyennes, en fait. Et depuis que je suis à Babel, j'ai cherché l'endroit ou je pourrai vous trouver.

     Thorn n'avait pas bougé d'un cil, le bout de verre dans la main. Seul son regard avait changé : il n'exprimait plus la moindre colère, mais un étrange mélange de plusieurs émotions contradictoires, trop nombreuses pour pouvoir êtres distinguées. Néanmoins, Ophélie ne se sentait pas mieux. Elle sentait encore un poids lui peser sur la poitrine. Une dernière chose à lui dire.

      Elle s'avança d'un pas vers Thorn, réduisant encore cet espace qui les séparait, et lâcha dans un souffle :

-Je vous aime aussi.

     Ce murmure se répercuta dans toute la salle de l'Ordonnateur, ou plus rien ne semblait bouger. Brusquement,  tout disparut autour d'Ophélie, entièrement enveloppée dans des ténèbres inconnues. Sentant des bras se serrer autour d'elle avec force et le tissu d'une chemise contre sa joue, elle comprit que Thorn la tenait contre lui. Elle se cramponna de toutes ces forces à son uniforme.

     Thorn, après quelques instants, s'écarta doucement d'Ophélie. Ses mains glissèrent vers les cheveux de la jeune femme, et ses doigts se perdirent dans ses cheveux courts. Répondant instinctivement à un tout nouvel élan, Ophélie se hissa sur la pointe des pieds en essayant d'atteindre la haute taille de Thorn.

     Avant qu'elle ne l'atteigne, la voix de Lady Septima, sortant du casque posé sur l'Ordonnateur, se fit entendre, impatiente :

-Sir Henry, pouvez-vous me répondre ? Savez vous ou est l'apprentie Eulalie ?

     Ophélie suspendit immédiatement son mouvement. Il devait répondre à cet appel, et elle allait devoir partir : en aucun cas Lady Septima ne devait découvrir leur secret, et elle avait des yeux partout, jusque dans certaines salles du Secretarium. A contre cœur, elle s'écarta de Thorn dans un tintement d'ailes.

      Ce dernier n'avait pas détaché son regard d'Ophélie. Étant arrivé à la même conclusion qu'elle, il se dirigea vers l'Ordonnateur. Saisissant le casque, il enclencha le micro et dit, avec l'accent digne d'un vrai babélien mais un ton effroyablement froid :

-Lady Septima. Je tenais à m'assurer que l'apprentie Eulalie était apte à manipuler les documents que j'allais lui confier. Apprentie Eulalie, dit-il sans se tourner vers elle, j'attends le compte rendu de votre étude de ce soir dans quatre heures.

     Elle récupéra les notes de Mediana et les références qu'elle devait étudier et sortit de la salle, non sans lancer un dernier regard à Thorn en fermant la porte derrière elle. Il avait repris sa discussion avec Lady Septima, comme si rien ne s'était passé. Tant mieux.

     « Au travail » se dit Ophélie, avançant résolument vers le bureau d'étude, mû par une toute nouvelle détermination, un faible sourire sur les lèvres.

     Elle avait retrouvé Thorn. 

Éclats de verreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant