Captive

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       Elle se réveille. Ses paupières entrouvertes lui permettent à peine de voir ses fins doigts gisant sur le parterre glacé. Un millième de seconde lui est suffisant pour réaliser où elle se trouve mais elle choisit tout de même de rester là, immobile, à se demander si elle arriverait un jour à sortir d'ici. Elle essaye de mouvoir ses articulations pour lutter contre le fourmillement de ses membres. Avec moins d'espoir que la veille, elle se lève en quête d'un détail qu'elle aurait manqué d'apercevoir: un détail qui changerait le cours de sa vie, un détail qui lui permettrait de s'échapper de la pièce mais comment échapper à quelque chose qui est en nous? 

       Son regard tourmenté parcourt la pièce dans laquelle elle se trouve; une pièce aux murs grisâtres sans aucune issue si ce n'est qu'une porte métallique poussiéreuse. Une faible lampe accrochée maladroitement au plafond éclaire l'endroit en lui apportant une ambiance sinistre. Le sol est vêtu d'un carrelage grès cérame qui vient affadir la pièce encore plus. Pas de fenêtres ni de meubles : juste le vide. Un vide présent en elle qui la consumait chaque jour un peu plus, elle rêve de s'en défaire mais tous les efforts du monde paraissent insuffisants à le combattre. Suivant son rituel, elle laisse exprimer son imagination dans l'espoir qu'elle lui apporte un moyen de s'évader. Non pas qu'il ai porté ses fruits, mais elle préférerait toujours agir à ne rien tenter. Elle n'a jamais été le genre à subir, elle continuera à lutter jusqu'à son dernier souffle même si qu'en de telles circonstances, les possibilités restent limitées. 

       Elle se rapproche petit à petit des murs sombres et les examine de ses yeux écarquillés, elle suit leurs longueurs de ses doigts tremblants de froid et de peur et complète leur inspection en les tâtant des mains. Un mouvement lent et précis qu'elle pratique régulièrement espérant découvrir une fissure ou un passage. Elle se rabat ensuite sur le sol en s'appliquant à suivre les côtés du carrelage avec attention et à frotter les espaces de ciment jusqu'à l'inflammation de ses ongles, en vain. Découragée, elle se force tout de même à réitérer l'opération jusqu'à se sentir trop épuisée pour continuer et décide alors de s'accorder quelques heures de répit. Son quotidien se résume donc à constamment puiser dans ses espoirs pour motiver ses recherches inutiles jusque-là mais elle se relève à chaque fois pour revérifier chaque centimètre carré de la pièce encore et encore sans jamais rien trouver.

       Elle se recroqueville sur elle-même et laisse échapper des larmes de détresse. Elle n'aurait jamais cru que cet endroit serait source d'autant de malheurs. En le bâtissant, elle croyait se construire un espace paisible et harmonieux où elle pourrait s'éloigner d'une société trop cruelle. Après tout, pourquoi chercher à traverser les océans quand il nous suffit de créer notre eldorado dans notre propre esprit? Elle s'y est longtemps sentie chez elle: confortable et protégée, loin de toutes ces personnes qui prétendaient la connaître mais qui ne faisaient que la juger, tous ces prétendus amis qui cherchaient perpétuellement à la rabaisser pour se valoriser. Elle avait perdu foi en son entourage, s'était construite une cage et s'y était enfermée. Elle voudrait tant sortir maintenant. Elle voudrait donner une seconde chance à la vie, trouver en elle l'énergie nécessaire à s'élever vers plus de bien-être et d'harmonie mais pour ça, il faudrait échapper à des limitations que son inconscient lui impose. Son cœur souffrant crie , cris étouffés par son moi torturé.

       Sa carapace devient trop lourde à porter; elle l'étouffe, la confine et l'écrase. Elle se sent seule, tellement seule. Elle se hait pour ne plus avoir la force de se relever. Elle se hait pour ne pas avoir l'intelligence émotionnelle nécessaire à s'évader. Elle se hait pour ne pas être assez forte pour se libérer. Elle se hait pour s'interdire de sortir. Elle se hait pour se haïr. Il ne reste plus rien d'elle, rien que de la haine qui consume tout ce qu'elle pourrait ressentir d'autre.

       Elle fait défiler quelque souvenirs de sa vie et se rend compte que jamais elle n'a été complètement présente, jamais elle ne s'est permise de vivre comme elle le méritait. Les émotions pures et authentiques remontent à son enfance, jamais elle n'a accepté d'être elle-même depuis. Elle fouille encore un peu plus dans sa mémoire: elle voudrait se remémorer l'instant exact où tout avait dérapé mais un cerveau aussi affolé que le sien ne se montre plus capable d'aucune réflexion.

       Sa lassitude broie ses espoirs si précieusement conservés. Son désespoir la noie dans ses ténèbres. Petit à petit, la lumière de la lampe s'affaiblit et la pièce ne se retrouve éclairée que par une faible lueur ce qui refléterait son état d'esprit. Au fur et à mesure que le temps passe, les murs s'épaississent et son vide intérieur s'élargit. Elle crie, seul l'écho de sa voix lui répond.

       Sa frustration la démange du plus profond de son être et son anxiété la dévore. Elle se sent soudainement en danger, une minute de plus passée captive lui serait fatale: elle le sait, elle le sent. Ses doigts tremblent, s'ensuit alors des secousses sismiques dans la pièce. C'est l'inquiétude , l'angoisse, l'horreur et la terreur. Sa respiration s'alourdit et se saccade: elle suffoque. Elle sent son mal-être grandir en elle. La panique l'envahit, elle se lève d'un geste lourd et maladroit et se retrouve face aux murs qui l'ont toujours tenu en captivité. Submergée de haine, elle se précipite vers eux en les martelant de toutes ses forces. Coup après coup, ses poings s'ensanglantent et ses articulations se brisent. De ses mains abîmées, elle gratte le sol en arrachant ses ongles un par un. De frustration, elle se mord les lèvres maintes fois, elles s'effritent libérant une mare de sang qui dégouline sur sa peau dévalant son cou. À ce stade, la douleur physique n'est que soulagement: elle lui permet d'extérioriser sa rage croissante.

       Elle pousse un gémissement d'accablement qui déferle tout le désespoir enfoui en elle, la libérant ainsi de toutes ses souffrances passées. Sa respiration se fait plus lente, ses mouvements plus sereins et son regard vigilant se noie dans l'insouciance et l'indolence. Ses paupières se ferment, elle s'éteint et la pièce sombre dans l'obscurité totale.

       Pourtant, il lui suffisait simplement d'ouvrir la porte et sortir.

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⏰ Last updated: Mar 18, 2020 ⏰

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