La roue de la bicyclette, bien qu'au sol, continuait de tourner. Personne, pourtant, ne lui accordait la moindre attention. Son guidon tordu, son autre roue quelques mètres plus loin, et sa selle déchiquetée auraient pourtant de quoi inquiéter les trois personnes présentes un peu plus loin. Mais pas autant que le cadavre qu'ils fixaient. L'inspecteur Roël sentait son cœur se serrer en observant le corps désarticulé de ce môme de sept ans fauché dans la fleur de l'âge. Malgré dix ans de métier, il constatait que jamais il ne supporterait la vision d'un cadavre, à la différence de certain de ses collègues qui parvenaient à garder un détachement nécessaire pour ne pas sombrer.
Pas de témoins, sinon le pauvre bougre qui était tombé sur l'enfant en promenant son épagneul, un breton nommé Sandwich – son propriétaire, sous le choc, divaguait facilement et leur raconta nombre de détails sans la moindre utilité pour leur enquête qui commençait ainsi ce jour-là. Yohann Roël se pinça le nez, une migraine vrillant ses tympans. Chaque affaire débutait et se clôturait de la même manière : il se demandait pourquoi il avait décidé de faire ce métier à chaque nouveau cadavre, et en redécouvrait la réponse lorsque le responsable était retrouvé, et placé derrière les verrous. L'on aurait pu penser à un accident, un simple accident, un garçon maîtrisant trop peu son vélo dérapa et effectua une chute mortelle. Mais l'état du vélo, le casque qui ornait la tête blonde de l'enfant, et les grosses traces de pneus de voiture indiquaient plutôt un écart qui l'aurait fauché en pleine course. Volontaire. Mortel.
Qui ? Qui pouvait bien faire ça ? Yohann perdit un peu plus foi en l'humanité ce jour-là. Se reprenant, il donna ses ordres, et s'en retourna à sa voiture. Chacun savait ce qu'il avait à faire, et lui devait s'en retourner au commissariat. Mais avant cela, il comptait faire un saut par chez lui, annoncer à son compagnon qu'il serait pris jusqu'à tard, la paperasse qui l'attendait prévoyait de lui tenir compagnie une partie de la nuit. Tout au long du chemin, des flashs lui venaient en mémoire, des corps, des cadavres, désarticulés, marionnettes de chair aux fils coupés. Un éclair roux lui revint en mémoire, et il dû se garer en urgence pour ne pas créer un accident.
Les larmes coulaient en abondance sur son visage fatigué. Pourquoi ? Pourquoi continuait-il son métier où chaque jour il côtoyait cette mort qu'il voulait à tout prix fuir ? Ses convictions comme une malédiction, éternelles alliées, destructrices ennemies, l'entrainant inlassablement vers le fond mais lui laissant garder la tête à la surface. Des images d'Éloïse, riant, puis sa minuscule dépouille, tournaient dans sa tête sans lui laisser une seconde de répit. Il étouffait. Ses doigts, machinalement, sur son téléphone, quelques bips sonores, bientôt une voix, une promesse, et le bruit d'un appel raccroché. Il ignorait combien de temps s'était écoulés avant que la porte de sa voiture ne fut ouverte, et que des bras protecteurs vinrent l'étreindre. Doux murmures rassurants au creux de son oreille. Ronan était là.
« Ça va aller mon amour, ça va aller. C'est moi, je vais te ramener à la maison, et tu pourras tout me raconter, d'accord ? »
Le temps d'être déplacé sur le siège passager, et qu'ils effectuassent la fin du chemin ensemble, et bientôt Yohann était de nouveau chez lui. Autour d'un café au lait préparé dans l'inquiétude, l'inspecteur raconta tout à son époux. Ce nouveau meurtre qui ressemblait de trop près à celui de leur petite fille quelques cinq ans plus tôt, et qu'il ne savait comment résoudre, car comme la fois précédente aucun indice ne lui était offert : ni témoin avec en tête la plaque d'immatriculation du chauffard, ni caméra de vidéosurveillance sur cette route de campagne déserte, ni même mobile. Un fou, voilà ce que c'était, qui tirait plaisir à faucher un passant sans défense sans qu'on ne pût en connaître la raison ou l'identité. Mais Yohann Roël ne pouvait se résoudre à dire aux parents du gamin ce avec quoi ils devaient, eux, vivre : que jamais ils ne connaîtraient l'identité du malade qui avait tué leur fils, et la certitude qu'il risquait, un jour, au détour d'un chemin, de recommencer.
À quelques kilomètres de là, la roue d'une bicyclette abandonnée continuait de tourner dans le vide.
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Confinement Writing Challenge
Short StoryUn écrit par jour, pendant trente jour, pour profiter de tout ce temps cadeau pour écrire et rêver et créer. Création par ma petite (en taille j'entends) personne, en mélangeant de nombreux sujets existants trouvables sur le dit « Internet » et ceu...