Le son des tambours s'est éteint, laissant place au mystérieux silence de la vallée. Dehors, la lune éclaire la nuit pure et profonde de sa lueur argentée. L'odeur du feu de bois embaume le village d'un doux sentiment de paix.
Prenant garde à ne pas réveiller la vieille Shaoran et les autres filles, Nakoma se glisse hors du tipi et cours vers la rivière, à la lisière du village. Comme tous les soirs, la petite fille s'allonge dans l'herbe, les jambes dans l'eau fraîche, ses prunelles noires rivées sur les étoiles. Depuis toujours, elle y voit les esprits de la montagne, ceux des guerriers disparus, ceux de ses parents partis trop tôt.
Comme beaucoup d'autres enfants du village, Nakoma est orpheline, conséquence d'une guerre entre tribus voisines. Elle vit avec la vieille Shaoran, la chamane, et d'autres petites filles avec qui elle ne parvient pas à s'entendre. Contrairement à elles, Nakoma ne trouve aucun réconfort dans les poupées de chiffons ni dans la confection de bijoux. Elle préfère de loin la compagnie des étoiles. Il n'y a aucune raison particulière, c'est comme ça. Même la vieille Shaoran ne peut rien y changer.
Sous la brise légère qui suit le court du torrent, Nakoma ferme les yeux. Il n'y a qu'au bord de la rivière qu'elle parvient à trouver le sommeil. Dans la tente, les ronflements et les soupirs des autres la troublent. Elle laisse son esprit dériver au rythme lent de l'eau qui coule avant de finir par s'endormir, bordée par les étoiles.
Boum. Boum. Tam. Boum.
Le bruit léger du tam-tam réveille Nakoma. Les sens aux aguets, la petite fille s'accroupit dans l'herbe, ses longues tresses noires tombant sur ses épaules. Le jour n'est pas encore levé, impossible que les hommes battent si tôt les tambours. Déclaration de guerre, peut-être ? Mais depuis quand la tribu Niitsitapi attaque-t-elle en pleine nuit ?
Boum. Boum. Tam. Boum.
Sa vision, encore brouillée par le sommeil, finit par s'éclaircir. Au-delà de la rivière, elle distingue une silhouette. Prudente, Nakoma s'approche encore, avance dans l'eau jusqu'aux genoux. Sur la rive d'en face, une petite fille de son âge environ, la fixe de ses yeux jaunes. Les cheveux épars, elle porte une peau de chevreuil enroulée autour de sa frêle poitrine, alors que ses doigts squelettiques tapent frénétiquement sur son tam-tam. Une vieille berceuse s'échappe de ses lèvres. Une berceuse que tous les enfants craignent un jour d'entendre.
Ani couni chaouani
Acheri bikana caïna
E aouni bissini
E aouni bissini
Nakoma recule brusquement et se heurte à un rocher. À tâtons, sans oser quitter le spectre des yeux, elle se relève et se met à courir. Le vent gène sa vision, quelques larmes coulent sur ses joues. Le bruit du tam-tam se perd dans la nuit alors qu'elle approche du village, mais le cœur de la petite fille continue de battre la chamade.
Acheri.
Elle vient de voir Acheri.
Nakoma n'est pas sotte, elle sait qu'elle n'a pas rêvé. Contrairement à ce que disent les autres enfants et les adultes, elle croit aux légendes, même les plus sombres. Elle se rappelle très bien de cette histoire-là. La vielle Shaoran la raconte aux orphelines pour qu'elles ne s'aventurent pas seules dans la vallée, la nuit tombée. Cette légende qui parle d'Acheri, le spectre de la montagne. Elle prend la forme d'une petite fille aux allures de cadavre, vêtue de peaux, les cheveux décorés de plumes d'aigles. Acheri ne sort que dans les ténèbres, joue du tam-tam et chante pour les enfants qui marchent dans son ombre. Elle leur apporte la maladie, avant de venir prendre leur vie dans leur sommeil. Puis, elle s'en retourne vers la montagne, son sanctuaire.

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Dans les yeux d'Acheri
Short StoryPetite fille curieuse, Nakoma s'échappe de son village à la nuit tombée pour s'endormir au bord de la rivière. Elle y rencontre Acheri, l'esprit de la montagne. Elle tue tous les enfants qu'elle rencontre. Nakoma est désormais maudite. Arrivera-t-el...